jeudi 29 décembre 2011

Tilleul - Parfums D'Orsay : Quiétude

Rarement une maman n'aura eu une telle empreinte sur son bébé.
Une création d'Olivia Giacobetti a toujours ce tendre et ce craquant qui donnent à l'enfant de quoi raconter une histoire qui lui est propre. Et chez Parfums d'Orsay, Tilleul réussit à montrer que douceur, subtilité et sobriété peuvent se lier à la beauté pure et simple.

Il est clair que le style d'Olivia Giacobetti se rapproche plus d'un paysagisme légérement impressioniste que d'une vanité baroque. C'est pourquoi nous sommes rarement étonnés, du moins surpris lorsqu'on nous présente Tilleul. Cependant, l'ennui se tient loin de nous. Très loin !

Corot, Souvenir de Morte Fontaine, 1864

D'une manière similiaire à Une Rose, la sublime Fleur du Malle, Tilleul parvient à exister en trois dimensions. Ainsi, dans un registre vert, tendre et craquant, nous voilà en train de nous enfoncer dans une forêt claire, à l'allure un peu mystique, mais pas trop. Juste de quoi nous inciter à l'exploration sylvaine, sans qu'il y ait un quelconque sentiment de peur.
Et c'est là tout le compromis du parfum : tout est équilibré de manière à ce que seul un sentiment de quiétude, murmure d'une ataraxie diffuse, se fasse ressentir à chaque respiration. C'est pourquoi on arrive à peine à en parler sans commencer à partir dans de vagues figures clichés entre clairière, licorne, et après-midi reposant. Et cependant, dieu sait que ce parfum inspire.

Pour ma part, le tilleul fait toujours référence à l'enfance, que ce soit chez Goutal ou chez L'Artisan Parfumeur. Chez Parfums d'Orsay, en plus de la dimension proustienne, Olivia Giacobetti réussit à donner du sens aux couleurs : vert, bleu, jaune, ... Dans ses traditionnelles notes de concombre aqueux, d'iris délicat ou de blé craquant, Tilleul se déploit confortablement.

Et parfois je me dis que, tout de même, la parfumerie grand public pourrait sans aucune honte faire des sorties de cet acabit sans que la foule se mette à villipender sur la beauté du parfum. En attendant, Tilleul demeure un petit délice de perfumista, simple, beau et accessible, à porter comme si on tenait microsystème vivant entre nos mains.

Tilleul de Parfums d'Orsay respire.



J.

lundi 5 décembre 2011

Thierry Mugler – Le Goût du parfum : Supers héros aux superpouvoirs

Plusieurs fois ils ont été évoqués : les nouveaux Mugler ont débarqué sur Terre.
Et pour décrypter cette rencontre du Troisième Type, rien de tel qu'une publication croisée ! Vous aurez donc le plaisir de lire l'avis de Dr Jicky sur le blog de Poivre Bleu, ici !, et en attendant, gents lecteurs, je vous prie d'accueillir Nez Bavard ! 

Je ne sais pas si vous avez regardé Dragon Ball Z lorsque vous étiez jeune (ou vieux, ne soyons pas sectaires), mais moi oui. J’étais fan de ces personnages aux traits coupants et aux coiffures invraisemblables. Et en plus ils gagnaient toujours leurs combats. Mais ça, c’est parce qu’ils avaient des superpouvoirs de dingue, et des transformations plutôt sympa comme le Super Saiyan (moi aussi j’aurais bien aimé pouvoir devenir blonde en claquant des doigts, ça aurait été trop classe pour épater les amis !)…


Et bien les éditions limitées de Thierry Mugler, c’est un peu comme si les versions classiques avaient déclenchés leurs supers pouvoirs… Vous les connaissiez déjà puissants et percutants ? Dites vous bien que vous n’avez encore rien vu. Le travail qui a été fait autour de ces fragrances à la personnalité hors norme a permis à chacune de dévoiler un potentiel encore plus impressionnant et séduisant. Vous allez me dire « Ah ! Mais on joue encore sur l’alimentaire ! ». Ma réponse est simple, oui, les éditions limitées Le Goût du Parfum joue ouvertement sur l’alimentaire, où comment stimuler des sensations gustatives et savoureuses à travers votre nez.

Il y a quelques temps, j’aurais probablement rejeté en bloc ce positionnement de la collection, car j’avais alors tendance à refuser tout ce qui touchait à l’alimentaire dans les parfums, fatiguée de la surenchère en sucreries collantes et sirop de fruits poisseux. Je comprends toujours cette sensation, et cette opinion, car elle reste toujours mienne dans le cas de nombreux lancements. Mais je sais aujourd’hui que l’on peut faire dans l’alimentaire, et même dans l’alimentaire sucré, tout en proposant un travail construit, des notes profondes, des textures inédites. Malgré tout le dégoût que provoque chez moi la vaporisation de Miss Dior Chérie (vintage), ce parfum est l’un des premiers à avoir proposé une note gustative en parfumerie dérangeante de réalisme (on parle bien de la note de fraise écrasée qui était frappante à sa sortie en 2005), car on raconte dans les couloirs (mais ce n’est plus un secret pour personne), que Christine Nagel serait allée piocher sa note si particulière du côté des aromaticiens. Cette note a aujourd’hui été lissée et a rendu Miss Dior Chérie encore plus détestable que sa première version.

Mais ce n’est pas le propos de mon article. Si notre ami le Dr Jicky a souhaité vous parler de Womanity Chutney de Figues, pour ma part, je ne vais pas déroger à mes habitudes et je m’en vais vous en remettre une couche sur Alien. Mais une couche de caramel au beurre salé s’il vous plait, ne soyons pas timides. Connaissant très bien ce parfum (puisqu’il fait parti de mes favoris, comme vous le savez désormais tous), j’étais tout naturellement très intéressée pour découvrir une variation sur le thème de cet extraterrestre parfumé. Je n’avais d’ailleurs pas du tout été emballée par la version EDT sorti il y a quelques temps, qui avait pour moi fortement appauvri le parfum, lui faisant perdre en sillage et en densité.


Pour la collection Le Goût du Parfum, Alien a vu apparaître dans son éventail de sensation la note sucrée, une note qu’il ne déployait pas forcément au départ. Vous pourriez justement voir ce changement d’un mauvais œil : détrompez-vous. Alien Caramel au beurre salé est loin de sombrer dans l’excès de sucre et de lourdeurs pâtissières. Le magnifique jasmin sambac est désormais un peu plus discret, et grâce à l’ajout de la note caramel (ethyl maltol) et d’une note un peu noix ou noisette, c’est finalement l’aspect ambré d’Alien qui ressort. Il se fait d’emblée plus rond, plus épais, certainement un tout petit peu plus gras, mais clairement plus charnel. L’évolution sur la peau s’assouplie : il se fait un peu moins sec et un peu moins cashmeran (le bois synthétique utilisé en grande quantité dans la formule d’origine). Ce qu’il perd en dimension fantastique (l’impression technologique et un peu surréaliste que développait la première version), il le gagne en consistance.

Alien Caramel au beurre salé s’accroche à votre peau et change de couleur : du violet il passe à l’or (la couleur de l’odeur change), et active les superpouvoirs du super-héros de la parfumerie qu’il est en réalité. On a passé le niveau supérieur : Alien est maintenant capable d’une diffusion, s’il était possible, encore plus puissante, d’une tenue qui défie les lois de l’évaporation, d’une originalité qui vous fera sortir du lot à coup sûr, même perdu dans la foule. Dans la zone de combat, les adversaires paraîtrons bien pales et faiblards avec leur soupe fleurie – fruitée navrante de convenance. Leur barre de vie se videra plus vite qu’il ne faut de temps pour le dire…

Inclinez-vous, vous êtes sous le charme de ses supers-effets… !
Si vous souhaitez en savoir plus sur la collection Le Goût du Parfum, courrez donc lire l’article de notre Dr Jicky national sur Womanity Chutney de figues, mais chez moi ! Et pour avoir un aperçu de l’ensemble de la collection, Olfactorum saura vous renseigner ! Je me joins bien évidemment à mon acolyte bloggeur pour demander bruyamment et avec insistance le maintient des références de la Collection, afin qu’elles passent au catalogue permanent, pour notre plus grand plaisir à tous !

jeudi 10 novembre 2011

Sharif - Via Del Profumo : Orientalisme

"L'Orient est devenu pour les intelligences autant que pour les imaginations une préoccupation générale"
V. Hugo, dans la préface de son recueil Les Orientales

J. Villegas y Cordero, Le Rêve

A peine la phrase est-elle soufflée que Sharif nous plonge dans un sommeil sans nom, et entraîne notre esprit dans un monde peuplé de djinns, de déserts, de touaregs, de vents solaires et de tempêtes de sable.

La vision est clichée, idéalisée, mais après tout, l'Orient du XIXème siècle était ainsi. Pourtant, Sharif n'est pas l'oriental stéréotypé ! Bien au contraire : oubliée la vanille, l'ambre et les fruits confits. L'Orient est ici poussière, grains, poudre et fumée. Car Sharif, comme il l'a été de nombreuses fois remarqué (chez Grain de Musc notamment), est une référence absolue au parfum tel qu'on le conçoit depuis la prime origine : par la fumée.

En effet, comme un vieux livre de conte sur lequel un souffle divin libère de la poussière foule d'histoires millénaires, Sharif par vents et fumées transparentes se déploie pour nous transporter dans un univers ciselé, parallèle à toute autre forme de parfumerie.
Car, comme tout enfant que nous avons été, les livres de contes sont peut-être les ouvrages qui m'ont le plus marqué. Similairement, Sharif arrive à nous emmener à ses côtés, dans un rêves transcendant en évoquant des images que nous connaissons, mais traitées de manière nouvelle, ou détournée.


F. Fabbi, Le Rêve
Une page se tourne, après l'envol de poussières cristallines nous voici embarqués par un petit génie soucieux de l'image qu'il se donne. Le voilà à soigner le petit sillage cendré qu'il prodigue, pour notre plus grand bonheur. Dans son monde à lui, le désert n'est pas vide. Il est profond, habité et incarné. De la noblesse de la Nature, il a tiré une essence simple, claire et efficace : rendre compte des rêves de l'Orient, où la fumée transporte, le sable fait frétiller, les sons résonnent et la poudre sublime.

Touché par ce désert magnifié, c'est avec un certain gène que je découvre cet univers que Sharif transmet, dans une sorte de nouveau langage qu'égoïstement je pense être le seul à saisir. Une effluve venant du vent, une odeur émanant du sol ou un frisson olfactif dont l'origine m'échappe : tous ces signes sont agencés de manière à ce qu'ils ne se découvrent pas.

Comme si le désert était assailli par une violente tempête de sable et que Sharif dispersait lentement les volutes assassines, me permettant de découvrir au loin quelques indices d'un nouveau mystère. Et comme il est naturel de tendre à percer les mystères... A vaincre la tempête !


L. H. Fischer, Bédouins dans une tempête de sable, 1891
C'est pourquoi je vous invite à percer les mystères de l'Orient de Sharif à travers un jeu concours... Je dispose d'une fiole magique gentiment offerte par Abdes Salam Attar, contenant 16ml du précieux Sharif.

Exprimez un mystère, une sensation, un oriental, une vision... en somme, interprétez et exprimez le petit génie de votre nez qui vous guide dans les sentiers olfactifs du quotidien.
Le souffle divin viendra chercher par tirage au sort le gagnant prochainement...

Et... c'est Catherine qui remporte le flacon de 16ml !!
Merci à tous d'avoir participé, et nous remercions la générosité de la marque pour avoir permis cela !
Et nous vous disons à bientôt pour de futurs petits jeux !

J.

jeudi 27 octobre 2011

Orange Inspiration

Orangé

Dau avait lancé la voie avec son "Rouge Inspiration". Puis  l'automne est arrivé, promptement. Cliché à mort : les feuilles tombent, les jours diminuent, le moral aussi. Il est 7h22 quand les premiers sons de harpe résonnent dans les tympans, et que le froid vient grignoter les quelques espaces de peau qu'il trouve. Et il fait nuit. "Le bonheur, c'est quand on se lève et qu'il fait toujours nuit" je disais quand j'étais petit.

Et maintenant, je me vente d'orange.


Traditionnellement, l'orangé est la couleur joyeuse, à en devenir presque vulgaire : "Aujourd'hui on a transféré sur cette couleur les vertus de l'or et du soleil : chaleur, joie, tonus, santé" décrit le spécialiste des couleurs, Michel Pastoureau, dans le must-have Le Petit Livre des Couleurs.

Mais si on devait aller plus loin, comment rendre compte du orange ? Si j'essaye d'avoir toujours un peu d'orange sur moi, je remarque qu'il dérange toujours un peu... Pas assez uniforme surement.

Sans Un Cri - Zao Wou Ki
Comment une couleur influence t-elle à ce point une personne ? On voit des Bleu, des Beige, des Habit Rouge et Serge Noire. Partout, couleurs et parfums se répondent. "Elles s'attachent aux parfums mêmes" annonce Serge Lutens dans son entretien pour J&P.


Le orange est éminent olfactif. Plus subtil que le rouge, plus prononcé que le jaune, il sait se faire doux, violent, poignant, voir même mélancolique.
En cette période Halloween - Automne, pensez orange. Tout le monde est orange, il suffit de révéler son prisme de l'orangé.


Quatre parfums qui signent cette couleur aux accents tous plus différents les uns que les autres.

1 / Like This, d'Etat Libre d'Orange.


L'évocation était obligatoire, voire clichée. Cela dit, le parfum a été construit sur cette couleur. Dans cette maison écossaise, le fantôme roux plane sur le fauteuil en cuir aux teintes brunes. Le bois  du plancher grinche quand on l'arpente, et il flotte dans l'air une vague odeur de tabac, de soupe automnale et de poussière poudrée.

Orangé dans l'évocation, mais aussi dans l'évolution. Un départ d'un orange presque brun, qui s'orientera vers un orangé beige. A porter avec ou sans orange ;)


Zao Wou Ki

2 / Daim Blond

L'intérieur moderne à parquet clair, propre, légèrement lisse, avec canapé en cuir blanc et table basse ornementée d'un vase contenant une fleur d'iris. La vue est claire, dégagée sur une forêt aux couleurs diverses. Le orange dans tout ça ? Il est épars. Par touches dans le parquet, par reflets dans la baie vitrée, par nuances dans la fleur, jonchant le sol de la forêt... L'orangé est subtil, doux, cotonneux.


Il est une petite conscience pour l'automne, à enfiler comme un voile coloré.



Les nouveautés dont tout le monde parle, et à raison : Mugler a trouvé la voie parfaite olfactivement en abordant le Goût du Parfum. Je la découvre de jours en jours, et elle agit comme une bombe. L'orangé dégradé de l'Alien original implose son ambiance coucher de soleil, pour faire exploser un orange irradiant, pigmenté d'une teinte absolue, avec certaines facettes sombres.

L'orange extrême d'Alien au Caramel au Beurre Salé, retranscrit la profondeur de l'esprit de la couleur, dans son aspect le plus physique : le ton est violent, imposant, mais Ô combien joyeux et magnifié !






"Cette couleur irritante et maladive, aux splendeurs fictives, aux fièvres acides : l'orangé" écrit Huysmans dans A Rebours (amen). Cette description de l'orange selon Des Esseintes correspondrait surement à l'orange selon Iris Silver Mist. Car ce parfum n'évoque pas la teinte. Il en a l'esprit. Au-delà de l'austère froideur, l'Iris de Lutens transporte de la terre ocre, brune, vers le ciel noir de la nuit, qui reflète au loin les lumières orangées, de la ville, du Soleil qui s'en est allé.

Porter Iris Silver Mist chromatiquement renvoit à l'esprit, véritablement : il faut intellectualiser l'odeur et la couleur. Pour que les deux sens se mêlent, que du gris naisse la couleur, et que du froid paysage apparaisse la messagère de la Sagesse....


Le Pandemonium - John Martin

"Si le rouge et le jaune se magnifient aux lumières, il n'en est pas toujours de même de leur composé, l'orangé, qui s'emporte, et se transmue souvent en un rouge capucine, en un rouge feu"
JK Huysmans, A Rebours

J.


jeudi 13 octobre 2011

Angel - L'Extrait

L'Extrait avait ce goût du solitaire éternel. Celui qui reste cloitré dans une grande demeure imposante, massive et à la limite de l'austérité, où rien n'est fait pour l'accueil. Le vestibule est un amas de tapis poussiéreux, de tableaux désuets et effrayants, de candélabres en tout point semblables à de la cire suintant des murs serrés et semble le vestige d'une dynastie déchue.

Extrait en Vanité -  © Emilie G. 

Il vagabonde dans ses appartements, seulement accompagné de deux antiques domestiques qui errent éteints, à l'image des vieux meubles de bois nobles qui décorent la maison faussement délabrée. Les couleurs ont perdu d'un éclat qui semble n'avoir jamais existé, et les sons qui traversent des corridors étroits résonnent comme si le foyer était entièrement vide.

Illusions - Emilie G
L'Extrait y règne en maître, majestueux, ayant réduit toute concurrence de beauté. Chaque détail est pensé, muri, a été médité longtemps, comme un grand cru. Chaque élément a été revu dans son aspect le plus subtil, et le plus excessif. Le parquet qui tapisse tous les sols de la demeure reflète une myriade de couleurs  allant de l'orangé au brun le plus sombre. Strié de tons rudes, mais élégants, ce dernier craque sans bruit sous les pas de L'Extrait, dont la démarche sublimée semble être véritablement issu de plancher boisé.

La rage du temps a polarisé chaque facette des coursives. La violence des meubles classiques est exacerbée par le patinage des secondes qui passent. "Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi !". C'est le Temps qui impose au sein de L'Extrait toute sa beauté et les détails allant de pair.


L'Extrait, majestueux - © Emilie G. 
Remarquer un pot de miel sur un meuble en acajou vernis n'est rien. Mais sentir sa décomposition sucrée et cailleuse, dont la lenteur est palpable, odorante, est une tout autre chose. Ce détail sensible n'est qu'une humble partie de l'incroyable château. En effet, une minutie mordante se remarque : l'odeur carnassière d'une fleur hante les couloirs froids. Or, aucun pétale n'ornemente les pièces. L'émanation florale évoque une tubéreuse violente, blanche, rouge et verte à la fois. Elle irradie  sans jamais se révéler. Elle brille par une absence remarquée, qui nous permet de visiter maintes pièces à la recherche de l'odeur. Ses particules spectrales flottent dans l'air saturé de poussière, et crient à notre oreille des sons trop graves ou trop aigus pour être entendus. Seul notre esprit semble capter ses appels tortueux. Que penser des décharges chromatiques diffusées par la fleur des appartements de L'Extrait ?


De cette lumière crue, mais d'une majestueuse beauté surgit le noir profond des recoins mystérieux. Alcôves, boudoirs et cabinets apparaissent tout au long de la découverte de ce palais méconnu, révélant aspérités obscures et rudes. La puissante odeur de cette absence de lumière est palpable, saisissable.


Vous découvrirez avec L'Extrait un  monde de curiosités, où les proportions n'ont plus de sens. Où le temps n'est plus l'ennemi, mais le sublime. Où les fleurs s'expriment en fantômes, où le noir est élégant, presque discret et s'allie à son ennemi de toujours, la lumière.


Car aussi illusoire paraisse t-elle, la lumière inonde L'Extrait, ce solitaire avare, qui n'attend que d'être découvert, non pas pour le bonheur de son porteur, mais pour l'essence même de son propre bonheur, qui se suffit à lui même.



"Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard, 
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,

Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !"
J.


lundi 3 octobre 2011

Entretien avec Serge Lutens – Des Essences aux Sens

Juin 2011. Ca y est ! On m’a enfin proposé l’expérience ultime de tout perfumista : rencontrer Serge Lutens en personne !
Sauf que voilà, les mois se sont écoulés (et ma tête commençait à guérir), mais devant la feuille destinée aux questions, syndrome de la page blanche pour le petit Jicky. Que dire ? Que poser ?
Cependant, au fil du temps, il a bien fallu se rendre à l’évidence : une interview de Serge Lutens n’apporte rien de vraiment révolutionnaire. Ce qu’il fallait, c’était trouver le filon, la soie capable de faire naître le texte destiné au Gardien du Temple du Palais-Royal.
Petit à petit, je me suis mis à tisser une interprétation personnelle, pour la présenter à Serge Lutens himself.



Lutens dessine ses parfums comme on compose un tableau polymorphique à la Arcimboldo. Connu pour ses saisons et ses potagers, Arcimboldo joue de multiples illusions d’optiques, où le jardinier se transforme en corbeille de fruits et où le cuisinier s’avère être aussi un plat de gibier, inversé.
Il en est de même pour la parfumerie Lutens, qui joue de tous les sens, de tous les univers et de tous les temps.

Cinq Univers. Cinq Sens. Cinq Mots.
De l’origine de Féminité du Bois à L’Eau, en passant par les flacons cloches, Serge Lutens explore les mots, les sons et les couleurs pour nous embarquer dans un monde où l’exotisme côtoie raffinement, mysticisme et jouissance dans une ambivalence sans pareil.

Zao Wou Ki

Tout d’abord, un premier mot : Abondance. Les parfums Serge Lutens font écho à un territoire olfactif puissant. Le néophyte dira avant tout en sentant le parfum « Hou ça sent fort ! ». L’univers olfactif fait référence à un monde d’épices, de banquets, voir de ripailles. Confiserie, miel, résines et épices agrémentent les repas et rappellent ces gourmandises rares et précieuses de l’époque médiévale et à l’Orient.

Car petit à petit, l’esprit s’oriente. Exotisme. Nous voilà transporté depuis le parfum à un univers immanquablement exotique, étranger. Le culte de Lutens pour l’Orient et l’Extrême-Orient se retrouve partout. La décoration des Salons du Palais-Royal révèle foule d’indices japonisants, les gravures des flacons font écho à un orientalisme pointu, les noms sonnent comme des titres honorifiques arabisants et les odeurs, entre couscous, pain d’épices, thé et encens, renvoient à des contrées lointaines. La pensée s’affine et mène à un troisième univers.


Le Raffinement. A travers l’exotisme, l’esprit s’ouvre et mène à une deuxième impression, au début  qui s’apparente au « Finalement c’est pas si fort », mais qui surtout, dans un troisième temps, mène à une réflexion de l’esprit. Les épices évoquent des lieux, des moments, des sensations. L’odorat fait appel aux autres sens. Le goût développe l’odeur, et par association, fait entrer en jeu la vue, l’ouïe et parfois même le toucher. Le Lapsang Souchon qui fume sous notre nez parait palpable. La richesse et la rareté des évocations annonce un luxe opulent, qui transporte l’esprit dans un autre monde.

Car il est une notion universelle à la parfumerie Lutens : le Mysticisme. Tout repose sur le travail de l’esprit. L’abondance, l’exotisme, le raffinement renvoient tous à l’univers silencieux et éthéré de l’esprit, à travers une certaine austérité dans les compositions, à des codes précis, qui font qu’un parfum Lutens est un parfum Lutens. Directement, avec des évocations d’église et de méditation, ou indirectement, le parfum reprend sa forme sacrée initiale. L’esprit rejoint la fumée, et les deux forment un tout.

Parce que chez Lutens, on aiguise chaque chose pour que deux ne fasse plus qu’un, tout en gardant son essence. L’Ambivalence. Après un mysticisme qui, il faut l’avouer, dérange, l’esprit atteint une autre dimension. Les noms des parfums jouent avec les perceptions : couleur, sons, odeurs se répondent et renvoient à une interprétation du monde presque alchimique. La nourriture rejoint la mort, comme la vie se lie à l’immatériel. Il n’y a pas de sens clair, juste un panneau vide qui pointe une direction sans révéler l’arrivée. Finalement, tous les parfums Lutens mène par des chemins différents à ce monde là, ce monde aux intrications multiples.

Redon, L'Appartion - 1910

L'Entretien

Serge Noire, Gris Clair…, Rousse, Iris Silver Mist. Et tous vos parfums, aux couleurs toutes plus prononcées et contrastées les unes que les autres. Le jeu visuel est chez vous un parti pris. Comment ces couleurs vous répondent, comme dirait Baudelaire, dans l’imaginaire créatif ?

Comme vous le dîtes dans le texte où vous vous présentez, un sens appelle un autre sens et s'y lie. La couleur, le titre, la forme d'un flacon et l'odeur qu'on y découvre, sont évidemment ce qu'on nommerait dans un roman ou un film : "son parfum".
Par ailleurs, puisque vous évoquez Baudelaire - où l'image n'apparaît que par les mots, qui mêlent aux corps des phrases, la couleur, le parfum, les formes, la chaleur et le toucher qui les influent - la pudeur me conseillant de ne surtout pas recueillir un extrait du poète pour "venter" un parfum, choisissez vous-mêmes un poème ou alors mieux, relisez les tous !
Quant aux couleurs de mes senteurs, elles s'attachent aux parfums mêmes, comme je l'explique ci-dessus ("son parfum")

En amateur de mots que vous êtes, une question toute bête s’impose : s’il n’y avait qu’un mot à avoir, lequel ce serait selon vous ? Quel est celui qui fait résonner le plus de chose à votre oreille ? Et au contraire, quel mot vous insupporte ?

C'est leur accord qui est impressionnant. Ils peuvent être des deux côtés de votre question : les mêmes mots injustement utilisés peuvent inverser leur pouvoir et passer de merveilleux à... ridicules !

El Attarine, Mandarine-Mandarin, Five O’Clock au Gingembre, Jeux de Peau. La touche Lutens semble éminemment gourmande, et cet univers gustatif que vous transposez est essentiellement oriental. Est-ce-que le gustatif atone, neutre et dit d’un équilibre parfait selon la culture extrême oriental vous touche, vous parle dans le processus de création ? Est-ce-que l’Asie pourrait caractériser un nouveau « goût Lutens » ? 

Pas plus que la couleur, le son ou le toucher, la géographie n'est capitale dans mes parfums. Si elle s'y reflète parfois, ce serait plutôt par l'intermédiaire d'un nom comme "Cuir mauresque" ou "Sarrasins", qu'on peut comme sur une carte, situer.
Il est clair que j'aime quand du jour, la nuit tombe et quand l'aube sort du noir, quand tient aux deux bouts se qu'offre un feu : au plus chaud de sa couleur, au plus haut de sa flamme, et quand il s'éteint, d'abord par la braise puis la cendre, ceci - pour ainsi dire - jusque sa disparition.
On peut placer à chacune de ces extrémités, celle portée au fer rouge sur le bras d'une criminelle; "Tubéreuse criminelle", à la plus éthérée, "Serge noire", pour la cérémonie religieuse d'un "De profundis".

J.

jeudi 22 septembre 2011

Angel Eau de Toilette - Volutes de Souvenirs

19 ans de règne impitoyable. 19 ans de majesté et de beauté. 19 ans de pédance. Angel sait ce qu'elle veut. Et elle en sait beaucoup. Néanmoins, la transition est faite. Trois semaines seront consacrées à l'étoile de la parfumerie, plus qu'un phénomène olfactif, plus qu'un règne sans pitié, l'histoire d'Angel est une Odyssée Moderne vers le statut de "Classique". Méprisez Angel, pleutres, mais admirez son aventure. Admirez sa puissance. Admirez, tout simplement, admirez le ciel miroitant mirages et miracles.

Car Angel voltige en eau de toilette désormais. Oubliez pédance et cruauté, parce que l'étoile bleue sait aussi se faire docte et plaisante. Angel sait se faire galante.

Nous voilà embarqués dans une nouvelle dimension où un livre de conte s'ouvre pour partager un nouveau savoir. Angel Eau de Toilette est riche d'un classique senti, senti et ressenti, mais chaque virgule, chaque lettre y est réajustée pour que d'un déséquilibre volontaire naisse une nouvelle harmonie.

Le premier chapitre est peut être celui qui diffère le plus de l'histoire initiale : de sa voix douce et aux pointes veloutées, Angel raconte avec plus de pétillance et moins de lourdeur, l'histoire de cette fête foraine, que l'on connait déjà. Mais à peine ce sémillant chapitre prend fin, qu'Angel ferme le livre, dans une envolée de poussière argentée...

" - Les enfants, à vous de vivre l'eau de toilette... Vous la portiez, maintenant vous allez la rêver".



Dans toute sa pédagogie, l'eau de toilette capture notre esprit dans un scintillement imperceptible, et nous voilà chacun plongé dans un éther de sensations autour de l'histoire d'Angel. Pour ma part, je me suis retrouvée dans un lit blanc, parsemé de plumes violettes et oranges, qui évoquaient la douceur d'une époque révolue. Dans un esprit proustien, le rêve de cet Angel m'a ramené dans un monde où les odeurs, les saveurs et les sons correspondaient ensemble, dans une harmonie insaisissable. Bizarrement, ces réminiscences apparaissaient par vagues, par lueurs indistinctes, presque électriques. Par échos, on entendait au loin la puissante résonnance de la voix d'Angel, qui rallumait quelques lueurs oubliées, noyées comme elles pouvaient l'être dans l'eau de parfum. Cette multitude de couleurs désorganisées s'assemblaient, et formaient petit à petit un nouveau tout, cohérent, magique. Et surtout BEAU.

Les rêves d'Angel eau de toilette sont simplement dans la beauté, l'esthétisme pur et la pétillance. L'originalité de l'histoire du parfum d'origine est de mise, mais voilà que les contrastes colorés ont été accentués, et que la douceur des songes a enrobé de velours et de rubans les atours abruptes du l'eau de parfum.

Angel eau de toilette dure éternellemement. Aussi bien dans l'esprit que sur le corps. Elle reste gravée dans notre esprit, car comme il est souvent énoncé, "il n'y a rien de plus tenace qu'une idée". Et le rêve, si on pourrait croire qu'il est limpide et qu'il glisse sur notre esprit, ne manque jamais de laisser briller ces étoiles qui scintillent dans nos yeux. Chanson utopique, décor coloré, rêves d'horizon mais pensées vers le ciel, Angel eau  de toilette a de quoi rendre le rêve plus beau.



J.

dimanche 11 septembre 2011

Vitriol d'Oeillet - Lutens : Douceur Caustique

Chers lecteurs, les blogueurs font des pactes secrets lors de rendez-vous tenus secrets, dans des endroits éloignés de la société et mystérieux. Pendant une de ces nébuleuses entrevues, Jicky a lié une alliance avec la grande Jeanne Doré d'auparfum.com. Ainsi, vous pourrez lire l'article le dernier article sur Vitriol d'Oeillet écrit par Jicky sur auparfum, ici, et attention, vous avez intérêt à y aller, car un tireur d'élite vous surveille... En attendant je vous demande d'applaudir notre guest-star : Jeanne Doré !

Lorsqu'on lit le mot "vitriol" associé à "œillet", on peut vite être tenté d'imaginer un parfum qui va vous ronger la peau, entre les fumées d'acide sulfurique et les pointes acérées de clou de girofle, qui partage avec le dianthus caryophyllus l'odeur caractéristique de l'eugénol. Un méchant parfum qui vous attaquerait par surprise en vous plantant ses griffes dans la nuque ?

Vitriol du côté de Wallace - copyright Emilie


Quand on ose enfin s'asperger le cou du liquide au violet profond, on est d'abord surpris, puis presque déçu par cette douceur douillette et timide, de laquelle s'échappent quelques notes à peine poivrées, enveloppées d'un bouquet floral poudré, coquet et désuet, que l'on pourrait presque croire sorti d'une collection de parfums disparus de l'Osmothèque.
Pour quelqu'un qui dit ne pas s'intéresser aux autres parfums, et notamment aux classiques, Serge Lutens a choisi, sans doute involontairement, (ou serait-ce encore par jeu ?) un parfum qui sonne finalement très "rétro".

L'œillet tel qu'on le connait chez le fleuriste ou par de plus ou moins "soliflores" comme Dianthus, Bellodgia, ou L'Air du Temps n'est pas franchement identifiable dans ce vitriol, dans lequel il a été déformé, dilué dans d'autres notes, en particulier le poivre (noir et rose) qui prend ici le dessus dans la course aux épices. L'accord floral, rose, violette, jasmin, poudré, en serait presque "dadame", s'il n'était enrobé en arrière plan par l'habituelle touche Lutensienne, à base de bois secs et musqués, et de prune douceâtre et légèrement confiturée.

Vitriol Sombre - copyright Emilie


Vitriol D'Œillet constitue donc un parfait hybride entre un certain revival des accords classiques (faisant ainsi une suite honorable au Bas de Soie et sa Jacinthe Chanelisante) passé à la moulinette de ce qui fait le fond de commerce du Palais Royal : cette patte olfactive boisée-confite, unique, si caractéristique, qui peut par  moment lasser ou se faire oublier...

Au final, ce vitriol, sans être extraordinaire, se porte avec plaisir, mais je le verrais davantage en journée, lorsqu'on a juste envie d'être chic et sobre, et de ne pas s'embarrasser d'un compagnon trop envahissant, plutôt que pour les grands soirs de séduction intensive...

dimanche 4 septembre 2011

Dr Jicky & Mister Phoebus : Blog de Coton

Il y a un an, jour pour jour, heure pour heure, seconde pour seconde, deux passionnés de parfums créaient ensemble le premier blog de parfum à tendance schizophrène : Dr Jicky & Mister Phoebus.

Que dire, si ce n'est que "Mais c'est-y qu'le temps passe vite" et que "Mais c'est-y qu'on en a fait un p'tiot chemin" ?
Tout d'abord, ça va être cliché à mort, mais bon : merciiiiiiiii !!!! Ah la la... vous faites des comblés jeunes gens !

Je ne sais pas ce que veux la tradition, mais en attendant, voici ce qui vous attend dans les prochaines semaines : un projet sur Angel de Thierry Mugler, un retour dans le passé avec Poivre de Caron, un dyptique spécial sur Vitriol d'Oeillet, de nouveaux épisodes de "Vis ma vie" ainsi qu'une rencontre.... ;)

Et puis parce que c'est toujours amusant, voici les quelques statistiques que nous vous livrons, avec le Top 5 des messages les plus lus. *Roulements de tambour de gens-qui-tapent-sur-le-flacon-d'Iris Silver Mist*

1/ Les parfums des Méchantes (parce que les petites feignasses qui dorment 100 ans, ça se parfume pas), avec 1462 vues
2/ Gossip Fragrances (parce qu'on est tous des pétasses au fond de nous), avec 1274 vues
3/ De Profundis (parce que Lutens a tendance à un peu trop fumer le petit grain par moment), avec 1094 vues
4/ Azzaro Pour Homme (parce que y'a que des pervers qui cherchent si oui ou non Ken et Barbie vont plus loin ensemble !), avec 1034 vues
5/ Les parfums des Méchants (parce que eux aussi ils arrivent à se marier avec la gentille en sentant Grey Flannel), avec 650 vues.

Et on finit avec une belle photo prise par notre photographe officielle in live from Paris with an amazing exclusivity oh yeah ! Elle annonce la tendance Jicky de l'hiver 2011 :D !

Iris Silver Mist sur la Seine - Emilie G.


Encore merci à vous tous, continuer à échanger comme ça avec passion, amour et gentillesse (bref, nous sommes des Bisounours) et... Vive l'odorat !

jeudi 1 septembre 2011

Baiser Volé - Cartier : Particule de Vie

Quand Lisbeth arriva en trombe dans son appartement du 5ème, elle se jeta furieusement sur son canapé en cuir blanc cassé. Ses pieds lui faisaient mal, et sa respiration saccadée lui faisait émettre de drôles de bruits, comme des hoquets de rage.

Elle mit sa tête dans ses mains, et imita la posture de cette actrice qu’elle avait vue au cinéma deux jours auparavant avec Mimiche. Oui, bon, ok, c’était cliché, mais essuyer ses larmes d’une autre manière ne lui serait pas venu à l’esprit. Son maquillage était foutu, c’était sûr. Elle releva la tête, son regard était rouge, et les mèches qui lui parsemaient le front paraissaient sales, folles. Vanité ! Comme si un metteur en scène de pathétiques comédies romantiques avait prémédité la scène, elle se retrouva en face d’un vieux miroir au cadre faussement doré écaillé. Le reflet la montrait, elle, désœuvrée, perdue, abandonnée ; ainsi que sa robe blanche légèrement froufrouteuse – mais pas trop – et son petit voile qu’elle avait piqué à Kate. Elle poussa un cri. Et dans un geste d’ultime désespoir, elle prit le vase en verre posé sur le petit meuble installé face au miroir et le fracassa par terre. Prise au dépourvue, elle me jeta. Violemment. Elle me jeta sans même me regarder. Comme un vulgaire morceau de chiffon à motif pique-nique. Moi. Elle me jeta comme elle avait jeté sa journée. Mon voyage dans les airs dura quelques instants qui – pour continuer dans le film de bas étage – me semblèrent une éternité.
Je vins frapper la fenêtre dans un bruit sourd et étouffé, je me sentis exploser et je me fracassai contre le sol, dans une ultime décharge.

Lys
Je quittai dès lors mon corps. Je me sentis voler, perdre mon attache. Moi, petite particule. En suspension dans l’air, je distinguais ce vieux bouquet abandonné. Un bouquet de lys, qui demeurait ma dernière dépouille. Quelle vie quand même ! Cette impression de mauvais drame revint. Je voyais défiler ma vie. Pathétique. Cependant, quel vécu ! On ne croirait pas comme ça, mais être une petite particule de pistil de lys, c’est quelque chose ! Tu passes ta vie au sein du cocon blanc, protégé, choyé et adoré par tout le monde : ta fleur, les nez, l’air et les petits êtres visiteurs.

Au ralenti, je me voyais m’éloigner de ce lys dont je constituais l’essence. Pauvre de lui. Flottant perdu dans les airs, je me demandais où diantre j’allai bien atterrir. Finalement, je n’étais pas si mal. Invisible dans l’air de la chambre du 5ème, je côtoyais particules d’eau, d’air et de vie. Comme des humais dans un métro parisien aux lueurs du jour, beaucoup ne me regardaient pas. Je les voyais se presser, invisibles aux yeux des autres, pour assurer « leurs fonctions ». Leurs fonctions. Attention, ça ne rigole plus. Mesdemoiselles H2O s’en vont faire exploser la vie. Dans toute leur prétention, elles m’éclaboussèrent légèrement au passage, mais je comptais bien ne pas me laisser piétiner par elles ! C’est alors que j’accrochai le regard des autres petites molécules. Les molécules vertes. Celles là étaient d’un charme et d’une politesse à faire rougir plus d’un Dom Juan en pamoison. On se regardait ensemble, on se prenait dans la main, le temps d’une petite ronde.

Cependant, la pesanteur me ramena à la dure réalité. Je n’étais pas faite pour rester à flirter avec l’air et ses molécules légères. Non, moi petit pistil en liberté, je devais retomber et toucher à nouveau ce sol qui m’avait fait naitre. Je me sentais dégringoler. Je craignais le pire pour la chute. Cependant mes craintes furent vite oubliées : je me retrouvais dans un petit duvet, une sorte de matelas informe et doux. C’est étrange. On dirait… un gros pinceau. Un… Mais oui ! Un pinceau à poudre de maquillage ! Quelle chance ! Me voilà lové dans du maquillage aux accents délicieusement rétro. Echarpes à plumes, maquillage contrasté et robes de soirées éclairées par les flash explosifs, la belle vie pour une particule de lys c’est ça.
Je commençais à m’installer dans ce que je croyais être ma future délicate routine, espérant presque rejoindre mes ancêtres des années folles, quand mon petit monde fut bouleversé. C’est que Lisbeth en avait fini de s’apitoyer sur elle-même et son mariage catastrophique. Dans une vague de précipitation et de fureur froide, elle se leva d’un bond presque altier. Elle arracha son voile ridicule ainsi que ses rêves de petite fille : Lisbeth prit son sac à main et y fourra papiers et maquillage. Bien évidemment, je fus embarquée.

J’entendais ses pas lourds et précis amortis par la fausse moquette de l’étage, et je ressentis une véritable décharge lorsqu’elle enfonça le bouton de l’ascenseur avec une vigueur jamais vue.
Une minute et quarante seconde plus tard, elle martelait de ses talons le bitume de sa rue. Il était sur le trottoir d’en face et il l’attendait. Je ne le voyais pas distinctement. Une chose était sûre : cet homme souriait. Lisbeth retroussa un carré de soie sur sa tête et lança un ultime et discret regard d’appréhension en arrière, comme pour vérifier quelque chose…

Elle s’approcha de l’homme que je n’arrivais pas à distinguer. Ils étaient complices, et venaient de m’en fournir la preuve : ils venaient de s’échanger un baiser. Un simple baiser volé.
J.

jeudi 25 août 2011

Mon Numéro 6 - L'Artisan Parfumeur : Discussion Cash

J'étais pas chaud quand j'ai entendu parler de la série "Mon Numéro" sur Grain de Musc (ici). Puis les parfums sont sortis : le 1, le 6, le 8, le 9 et le 10. Je les ai tous senti, un peu précipitamment il est vrai, et si j'ai craqué direct pour le 8, poudré et subtil à souhait, les autres ne m'ont ni emballé ni marqué.

Puis à la présentation du prochain Artisan, Batucada, je suis reparti avec un échantillon du 1, du 6, du 7 (à venir, et délicieux d'ailleurs) et du 8. Devoir de perfumista oblige, je me suis attardé à papoter avec chacun des parfums. Le 1 était sympa, mais j'ai pas partagé grand chose avec lui, alors qu'avec le 7 et le 8, je me suis  éclaté comme un fou !

Et il y avait Mon Numéro 6. Bizarrement, je suis de marbre avec lui, comme malheureusement pour moi assez souvent avec les enfants de Bertrand Duchaufour. Et pourtant, c'est avec lui que la conversation a été la plus intéressante !

Parler avec Mon Numéro 6, c'est comme voyager en train. Mais attention, pas le RER B, bon pour One Million et consorts, mais comme un train de nuit assez rapide, à l'étranger. Dehors, on ne voit pas grand chose, si ce n'est des reliefs et de la végétation - beaucoup de végétation - mais on sait pertinemment que ce paysage défile. Vite. Puis 6 débarque, à l'improviste. On ne le connait pas, mais il s'assoit quand même en face de vous, et vous sourit, pour entamer immédiatement une conversation de manière la plus étrange possible.
"J'suis le porte-monnaie".

Interloqué, on est là. On lève la tête et on plonge directement dans le regard vert d'eau de 6, alors que le train entame un délicat virage. Il ne faut pas chercher de sens à la phrase. 6 a réussi son entrée.

La discussion  commence, et au départ, j'avoue avoir été très troublé, étant donné que le sombre inconnu s'embarque direct dans un sujet à la limite de l'insipide. Non, je ne rêve pas, on dirait J'Adore. Et que je te fous un peu de sujet capillaire, du vernis et autres joies du mascara. Sauf que son discours proche du bas de gamme est ancré dans un sujet passionnant : le voyage. 6 relate une histoire sur un voyage en Asie du Sud, et nous voilà bercé dans un conte sur la mousson, dans une optique que l'on pourrait rapprocher des aventures d'Un Jardin Après La Mousson.

Vert d'eau
Le décor est posé, deux thèmes sont abordés, et tout est construit dans le discours de 6 de manière si fluide que me voila désarçonné. 6 a réussi, réellement. Mais ce n'est pas tout, 6 s'installe dans le fond du dossier, et sirote déjà un jus de fruit inconnu, limpide, du même vert d'eau que ses yeux.
Et aborde la suite de la "conversation", étant donné que pour l'heure je n'ai pas vraiment pu parler.

6 continue son envolée sur les voyages. C'est réellement passionnant. Le voila qui parle de montagnes asiatiques, de nuages et de neiges éternelles. Un discours très très proche de celui de... Dzongkha ! Une poésie de subtilité et d'anecdotes, mais qui malheureusement ne m'évoque absolument rien. Le drame. Surtout qu'il rappelle encore quelques souvenirs en mode J'Adore, et du Jardin. Vraiment, je suis extrêmement troublé.

Et c'est là qu'il entre enfin dans le récit que j'attendais. 6 parle maintenant de mystères, d'ombres, de lumières. On part du monde intelligible, vers un monde sensible et onirique. Comme Passage D'Enfer. Beauté et subtilité sont de mises, et j'aperçois que le regard vert d'eau de 6 s'est transformé en regard gris, délicatement teinté de bleu et de vert. Tout pétille : son récit, son regard et mon ventre.

6 a terminé. Je commence à parler, mais il me sourit une ultime fois, et part. Quitte le wagon.
Comment conclure. Oui, la discussion était passionnante, mais ce mélange de discours, entre J'Adore, le Jardin, Dzongkha et Passage D'Enfer, tout est extrêmement intéressant, mais là encore, comme souvent avec Duchaufour, je suis interloqué, mais je reste de marbre, même si pour le coup, 6 m'a intéressé. Je l'ai revu, de temps à autre, aussi bien dans une ville comme Londres qu'à Venise. Le souvenir est gravé, mais sa rencontre m'a encore troublé.

A vous de voir si 6 vous racontera la même histoire.
J.

vendredi 19 août 2011

Vis ma vie de Chanelophile - Témoignage de Dau sur son histoire d'amour avec Chanel.


Notre prochaine guest-star de l'été sera donc Dau ! Chanelophile de référence pour les internautes d'auparfum.com, il est sans doute plus connu pour tenir le blog à la recherche, dans lequel il relate comme dans un journal intime ses réflexions quotidiennes sur la mode, les films qu'il a vu, les livres qu'il a lu et bien sûr... les parfums ! Il a gentiment accepté, à notre demande, d'écrire un article sur la relation qu'il entretient avec sa marque préférée. D'autres invités suivront dans les prochains mois pour nous parler de leurs marques fétiche ; mais pour l'heure, en ce 19 août 2011, on se joint tous à Dau pour souhaiter un bon anniversaire à Mademoiselle...



Moi et Chanel - par Dau.



Je sais que ça commence mal et que je devrais écrire Chanel et moi mais Gabrielle avait déjà bien assez tendance à effacer l’autre, à le nier, et sa marque, forte, continue à vampiriser celui qui l’arbore s’il n’y prête garde, alors…

Entre Chanel et moi, tout a mal commencé: je suis né au moment ou elle mourrait. Et pour sa maison, ce fut le temps du deuil, de l’éclipse. L’empire aux deux C entrelacés s’était déjà assoupi car Mademoiselle, vieillissante,  l’avait mené à une espèce de perfection classique, toujours belle, mais dont il n’y a rien à dire, ce qui ennuie toujours beaucoup les rédactrices des magazines.  Parvenu à un certain stade, le style devient intemporel et donc se répète . Saint Laurent a connu la même situation: maîtrise absolue, vêtement hautement désirable, mais le même tailleur, aussi merveilleux soit-il, photographié d’années en années lasse le lectorat des revue alors qu’il ne quitte pourtant pas la garde-robe élégante. Il en va de même des parfums: les anciennes merveilles s’assoupissent car tout a déjà été dit. Le culte est entretenu par les fidèles mais ne fait plus de nouvelle conversion par manque de visibilité. Et on sait que point de nouvelles conversions entraîne assez facilement une cessation de production pour cause de ventes décevante. D’où la nécessité d’entretenir le mythe, de faire parler de soi. D’où l’utilité de ces « déclinaisons » infâmes qui parfois supplantent le originaux, ou de campagnes de pub parfois racoleuses...


La famille Wertheimer, propriétaire de la maison de la rue Cambon, avait toujours soutenu Gabrielle, malgré de nombreux coup bas de part et d’autres. Disons le de suite: Chanel était une vieille garce assez peu scrupuleuse qui aimait que les choses tournent à sa façon, que tout mérite et que tout bénéfice lui revienne. Le retour a la couture avait été un pari risqué mais combien gagnant qui avait permis de relancer encore un peu les ventes de parfums qui sans cela se seraient peut-être essoufflées. Mon enfance fut pour  Chanel une période de deuil, de calme marquée par la sortie de Cristalle et les tailleurs des femmes politiques fidèle à ce qui était devenu un style traditionnel. Ensuite vint Karl Lagerfeld génialement choisi pour relancer Chanel. Prêt-à-porter, couture… La vieille dame assoupie renaissait tel le phénix de ses cendres et  régnait à nouveau sur le monde relançant par la même occasion les ventes des parfums qui redevenait tout d’un coup à la page! C’est à ce moment que je les ai découverts…

J’avoue que mon premier parfum n’était pas signé Chanel. Non, à cette époque Dior tenait encore le haut du pavé et j’ai céder au charme de l’Eau Sauvage et beaucoup fantasmé sur Poison qui était l’incontournable du moment. Un peu trop incontournable d’ailleurs. Assez vite je me suis tourné vers Chanel. J’y suis entré par la petite porte; un flacon d’Antaeus: sombre et austère, bien plus à l’époque qu’actuellement me semble t-il, mais peut-être est-ce moi qui étais plus tendre à l’époque?

Bien sûr, il y avait aussi les autres de la famille et pendant que je passais allègrement d’une marque à l’autre, je revenais souvent vers Chanel. Coco était une grande star à l’époque: le plus aristocratique de la bande des épicés-ambrés orientaux mais pas tout à fait. Opium avait ouvert la voie et tous s’y était précipité mais je trouve que Chanel avait fait ça avec beaucoup de subtilité dans un esprit qui n’était pourtant pas le sien… Polge le qualifiait de baroque, rendait hommage à l’appartement de Mademoiselle encombré de paravents… Aujourd’hui, je n’aime plus trop mais à l’époque, j’adorais, cela collait avec les robes « rideau d’opéra » de Lagerfeld. L’esprit était très Guerlain. Enfin, c’est ce que je me dis avec le recul. Chatoiement et paillette, très séduisant, une bonne introduction: plus facile que d’autres.  Et puis, j’ai découvert le reste de la gamme petit à petit et m’y suis adonné avec joie et délectation, me frottant à cette antipathie et cette prétention qui semblent la marque de fabrique du patrimoine.


Le N°19 a été mon premier « vrai » Chanel historique. Une gifle de galbanum, un iris austère et soyeux sur un fond plus séduisant que le début ne pourrait le laisser penser qui fait un vrai parfum de ce qui aurait pu être une eau florale fraîche. N°19, tout jeune (oui, tout jeune: mon âge!) ne m’a jamais fait rêver, ne m’a jamais rien évoqué que lui-même. Il est abstrait et m’a toujours semblé extrêmement cérébral et vierge, collant parfaitement avec Gabrielle au moment ou elle y travaillait, redevenue comme Elisabeth Ière, éternellement pure, souveraine absolue n’admettant aucune contradiction, experte dans l’art de la petite phrase sentencieuse qui clôt tout débat d’un ton péremptoire. À partir de là, je me suis livré corps et âme à Chanel, aux historiques, n’aimant que ceux qui me parlait de la créatrice même si j’admets que l’âme est toujours dans les créations actuelle de façon très intelligente…

Il y eu pour Monsieur, eau discrète, élégante, très naturelle dans une ambiance  « ébénisterie » fraîche qui surprend. Pourtant, je trouve assez logique que l’homme chez Chanel soit le parent pauvre assez mal servi: Mademoiselle n’admettait pas qu’un homme aie la moindre emprise sur elle en ancienne entretenue au début peu glorieux. De même dans ses histoires à propos du N°5, il lui arrivait de dire qu’elle l’avait composé elle-même en jouant chez un parfumeur avec quelques essences florale, oubliant totalement Ernest Beaux.  En y pensant, je me dit que Bleu, petite chose insignifiante, est bien dans cet esprit: l’homme derrière, nié, inexistant…

Les caractéristiques du style Chanel, chacun les verra différentes, selon ce qu’il aime ou déteste  La référence à Mademoiselle est incontournable: « quelque chose d’artificiel » parce qu'un parfum « naturel ne peut être qu’une construction de l’esprit! » Oui, il ne me semble renvoyer à rien d’autre qu’eux-mêmes, comme la couturière qui réécrivait son histoire et faisait des vêtements qui lui-ressemblaient en évitant toute référence qui pouvait passer pour une inspiration ou un hommage. Si Chanel se plaçait au centre de son monde, ses parfums semblent faire pareil, déclaration intransigeante d’une affirmation de soi sans concession, doté d’un orgueil infini.



Le N°5 s’impose comme l’archétype absolu évidemment. Comment pourrais-je ne pas l’aimer, ne pas me livrer à lui pieds et poings liés. Incroyablement solaire, il rayonne, rejetant tout dans l’ombre, s’imposant avec une incroyable majesté bourgeoise, à la fois simple et luxueuse. Il sent l’argent et la réussite à plein nez. Il sent le propre aussi, le bien soigné, mais avec par-dessous, tout en fond, quelque chose de sale, un petit quelque chose qui le rend humain finalement, même s’il faut bien chercher.  On ne porte pas du Chanel pour se rendre aimable. On porte du Chanel pour être soi, pour avoir raison, pour faire danser le monde sur sa musique. Oui, les parfums Chanel ne sont généralement pas sympathiques, ils sont impressionnants, peuvent faire un peu peur mais une fois qu’on a sauté le pas, quel délice de pouvoir être soi, de s’approprier une odeur qui est unique, qui n’est qu’à soi, que soi. Les classiques de Chanel donnent un sentiment de puissance : ils autorisent tout, sont sans pitié, terriblement modernes.


Poursuivre la lecture : http://entransformations.blogspot.com/2011/08/now-look-no-look.html