samedi 21 septembre 2013

Je ne suis pas très très content.

       Bonjour, ici Phoebus. Vous m'avez manqué, ça faisait longtemps. Et je ne suis visiblement pas parti en stage pour m'améliorer à trouver des super titres.









       Dimanche dernier, mon portable n'avait plus de batterie. Et comme les gares n'ont pas le bon goût d'être des aéroports, je n'ai pas pu compter sur une parfumerie duty-free pour passer le temps la mouillette sous le nez. J'ai donc fait ce que toute âme en peine qui traîne son ennui derrière soi dans une gare aurait fait (et NON, j'en vois qui se demandent, je ne me suis pas improvisé bookmaker du combat de chiens entre SDF qui se tient régulièrement devant l'entrée du hall). Je suis allé m'acheter un magazine.



       Un exercice assez difficile, je m'en suis rendu compte. Peut-être parce qu'il m'est étranger, peut-être aussi parce que la marée d'exemplaires arbore des titres moins accrocheurs qu'ils ne se tuent à essayer d'être. Et très honnêtement, après avoir roulé des yeux au-dessus d'éditions spéciales "Franc-Maçonnerie", j'ai vite réalisé que sortir d'ici avec un Super Picsou Géant serait le choix le plus intelligent qu'il m'était donné de faire.



       Puis j'ai vu GQ.

       Je n'en avais encore jamais lu, pourtant j'en avais un peu entendu parler par les amis d'amis qui brandissent l'application GQ Androïd en soirée, d'un ton laissant entendre qu'il n'y a pas besoin d'en dire plus pour justifier l'achat de telle montre et de telles chaussettes à rayures saveur preppy. Un coin de mon esprit a vaporeusement enregistré qu'il s'agissait d'une institution mode-bien-être-art de vivre pour pas mal d'hommes entre 23 et 53 ans. En prenant la tangente d'une apparente décontraction, ils sont arrivés à toucher un cœur de cible masculin imperméable aux presses plus pointues en la matière. La conséquence étant cet espèce de statut de fashion-gourou qu'ils se sont vu attribuer par ce lectorat même, prêt à boire ce que le magazine leur donnera.



       Je ne suis pas en train de dire que c'est une mauvaise chose. J'imagine que niveau mode, les rédacteurs de GQ sont bien calés et ont aidé une longue liste d'hommes à jeter de leurs placards tous leurs bermudas. Qu'y a t-il de mal à suivre aveuglément des gens qui savent ce qu'ils font ?



       En dehors du simple fait que le monde tournerait bien mal si personne ne développait d'esprit critique, il y a le problème de vouloir étendre sa gourou-ittude à des domaines qu'on ne maîtrise pas. En l’occurrence, imaginons que GQ se mette à conseiller des parfums médiocres dans la section spéciale dédiée aux parfums (n'imaginez plus : ils l'ont fait). On voit d'ici qu'il y aura tout un lectorat qui attendra, le bec grand ouvert comme des oisillons, que la bonne parole tombe. Des hommes entre 23 et 53 ans, émancipés, à l'aise avec leur virilité etc, qui se justifieront de s'être parfumé avec des déodorants marine étiquetés "parfum" en brandissant l'application GQ Androïd. Comme une évidence.








       FACT : le lectorat des magazines comme GQ est immensément plus développé que celui de la blogosphère parfum, et ça agace un poil de les voir promouvoir en masse ce qu'on s'époumone vainement à signaler comme mauvais. Alors vous me direz : oui, mais ils ont mis le dernier Bottega Veneta Pour Homme et la dernière Hermessence dans la liste quand même, faut nuancer. Je vous répondrai que les Hermessences ne sont pas vendues partout et que dans tous les cas, Invictus reste le moins cher de la liste. Enfin, de la liste, je suis gentil... Du magazine tout entier en fait. Ce sera donc vers lui qu'une quantité d'hommes en quête de style se tournera, pensant faire tout comme il faut, tamponnés GQ-approved sur le front. C'est un peu la version beauf d'une mignonne anecdote de chez Chanel : les jeunes femmes qui s'offrent un rouge à lèvres CC quand c'est le seul médium par lequel elles peuvent toucher un peu de la magie que la marque leur inspire.





       Ce que je veux dire par là, en pointant du doigt les articles parfum made-in presse grand public expédiés à la va-vite (SERIOUSLY les mecs, associer un parfum à un trait de personnalité différent, niveau développement c'est genre l'article-parfum qui serait resté bloqué au stade anal) quand ce ne sont pas juste des publicités-payées-déguisées, s'illustre à l'échelle quotidienne. J'en rencontre beaucoup, des gens qui semblent avoir du goût, qui savent se mettre en valeur, ont une jolie coupe de cheveux, disent avoir lu les auteurs qu'il faut et connu des artistes underrated avant qu'ils ne percent. Certains véhiculent autour d'eux un parfum abject, la dernière nouveauté régressive sans âme et sans équilibre, sans penser une seule seconde que ce simple mauvais choix briserait soudainement tous leurs efforts aux yeux (narines ?) de qui y est éduqué et sensible.



       Alors voilà. Parfois j'ai ce sentiment qu'on vit une époque où n'importe qui peut être beau ou paraître intéressant s'il le désire, et ce que nous affichons, visuellement ou dans une discussion, n'est plus automatiquement révélateur de nos goûts ou de notre sensibilité personnelle. Il existe vraiment des modes d'emploi pour ça, pour la société anxieuse du regard des autres que nous sommes. On vous dira ce qu'il vous faut. Ce qui nous intéresse ici, c'est que ces modes d'emploi vous diront qu'il vous faut un parfum parce qu'il le faut, en dépouillant l'intérêt du parfum à ses seules fonctions nombrilistes, qui sont avoir une présence et séduire. Voilà comment on en vient à se faire de l'argent sur l'insécurité des gens et leur manque de questionnement.



       C'est dommage. Je n'apprendrai rien à ceux qui lisent ces lignes en disant que la parfumerie est particulièrement enrichissante quand on ne parle plus de produits mais d’œuvres, et qu'on sait distinguer les secondes des premiers. Quand les fonctions nombrilistes deviennent secondaires (ne soyons pas de mauvaise foi, elles ne s'effacent pas..) et laissent place à la contemplation, l'émotion, parfois même l'introspection.



       Je désespère un peu, on ne pourra plus retrouver en France à grande échelle cette formidable culture du parfum du siècle dernier. A cause de ces modes d'emploi, de ces cercles-vicieux, qui ne souhaiteront jamais la mort de la parfumerie - puisque ça rapporte - mais qui l'empêchent de délivrer ce qu'elle a de plus beau à offrir.

1) "insécurité d'un public qui ne demande qu'à se voir imposer des choix pour avoir l'impression de tout faire comme il faut" 
--> 2) "médias à grande échelle qui saisissent l'opportunité de devenir les messies que ce public déjà aliéné attends" 
----> 3) "Marques de parfum qui recherchent le profit maximum en se faisant une bonne marge sur les formules et en monnayant à l'occasion leur présence dans les pages du-dit messie" 
------> et 4) "les tests consommateurs menés par les marques pour savoir ce que le plus grand commun dénominateur aime". 
 

       On en revient ainsi au public non-éduqué, à la fois victime et fautif de cette spirale vers le bas.



       Et à tout ceci malheureusement je n'ai pas de réponse. Et tant mieux car c'est peut-être là que se situe la ligne de démarcation entre certains types de presse et certains blogueurs. Nous ne nous positionnons pas en messie, la blogosphère spécialisée dans le parfum ne se targuera jamais d'avoir les réponses à quoi que ce soit. Mais notre raison d'être en tant que passionnés, c'est essayer de trouver les bonnes questions en espérant être lus et en espérant en susciter d'autres. Un battement d'ailes de papillon...



mercredi 18 septembre 2013

La Victoire ! - Eau de Narcisse bleu, Hermès : 3ème partie

Le moment que vous attendiez tous est arrivé : l'annonce du gagnant du flacon d'Eau de Narcisse Bleu, généreusement offert par la maison Hermès.

"The Winner !", The Tree of Life, T. Malick

Après des affrontements à coups de vapos entre pas moins de dix-huit personnes, c'est Saalehm qui remporte le précieux flacon ! Prenez en bien soin et profitez pleinement de cette petite merveille !

Envoyez-moi un mail à l'adresse suivante : drjicky@hotmail.fr pour que je puisse vous l'envoyer.

J'en profite une dernière fois pour vous remercier tous de nous lire et de participer avec une telle assiduité et une vraie passion pour le parfum. C'est un vrai bonheur pour nous !

Je reviendrai bientôt avec des articles plus drôles que ceux de la série de l'été. En attendant, j'ai l'honneur de vous dire que le prochain article sera signé Phoebus ! Et oui, ça faisait un petit bout de temps déjà ;) (ouais Mister Phoebus, je te mets la pression).

Vive l'odorat !
J.

mercredi 4 septembre 2013

Eau de Narcisse Bleu - Hermès : Parfum-Somme

"Les cueilleuses nous ont appris qu'il y avait deux chemins pour traverser la vie. Le chemin de la Nature et le chemin de la Grâce. On doit choisir lequel suivre.

La Grâce ne cherche pas être mise en flacon. Elle accepte d'être ignorée, oubliée, rejetée. Elle accepte les bouquets et les coups.
La Nature ne pense qu'à être mise en flacon et à convaincre les autres d'y oeuvrer aussi. Elle aime les traiter avec arrogance, imposer sa volonté. Elle trouve des moyens d'être malheureuse quand le monde rayonne tout autour d'elle et que l'amour sourit à travers toute chose.

Les cueilleuses nous ont appris qu'aucun de ceux qui suivent le chemin de la Grâce ne connaîtrait jamais le malheur. Je te serai fidèle, quoiqu'il advienne."


The Tree Of Life, T. Malick


Aube de l'Humanité, Terre - Couleurs

Flair. Vert. Ce sont eux qui m'ont conduit jusqu'à toi.

Tu peignais sur la table en bois clair, alliant au mouvement de ton pinceau un flottement de tes doigts dans l'air avec ta main libre. Le bleu se reflétait dans le coin supérieur de ton dessin et tu parvenais à imaginer pleinement. Ainsi, tu venais de créer le jaune-bleuté, imperceptible à l'oeil mais détectable au nez. Le jaune-bleuté était instable et avait les reflets du mercure que l'on dépose dans la neige candide. Il avait les irisations des bulles savonneuses qui éclatent quand le vent polaire érode les odeurs. Il dessinait les motifs d'une carapace de tortue : sinueux et nuancés, géométriques et imbriqués, tortueux et mélodiques.

Le reste de ta feuille était blanc et n'attendait que les manifestations de ta vie pour se réveiller. Petit à petit, le vert est venu se greffer au tableau. Une chute d'eau ruisselante et martelant au loin et des feuilles cachant le Soleil, préparées par la fluidité des algues aériennes et translucides. Le jaune-bleuté s'est animé. Le rouge, opposé, triomphant, s'est déclaré et tu as posé ta main sur son visage reptilien, écailleux, immortel, brûlant et suffocant. Titanesque, l'Orange a donné le Feu à ton dessin, y ajoutant une once de vie et d'intelligence.

The Tree of Life, T. Malick

Puis tu l'as rattaché à l'Homme. Le Blanc, le Noir et toutes leurs nuances communes. Le Violet, un violet de la couleur de la peau, à l'image de l'âme et de l'esprit d'une oeuvre que tu as voulu pleine, belle et vivante. Noir, Gris, Blanc, Violet : c'était moi.

Pour la première fois, tout virevolte entre les odeurs, les sons, les couleurs, les goûts et les matières. Tout commence à prendre forme sur le dessin.

1933, Grasse - Abstraction

À Grasse, le Narcisse choisit son chemin.

Nébuleuse de l'hélice - NASA
Le voilà, répandant ses arômes dans l'air chaud chargé de l'humidité des pierres s'asséchant au cours de la journée et du parfum des arbres épanouis dans la lumière crue de la vallée grassoise. Le vent mord ses pétales d'un jaune aux tonalités froides d'un bleu vibrant. Le jaune-bleuté. Il faut croire que c'est lui, cette couleur inventée de toute pièce, qui représente le mieux certains narcisses s'étant perdus à Grasse.

Que Diable viennent-ils faire ici ? Ils pleurent l'absence de leurs proche, viennent découvrir de nouvelles lignes en voyant les cols des montagnes et s'extasient devant le ciel profondément vivant de la nuit.

Comme  deux billes lourdes se rejoignent sur un drap tendu à l'extrême, le regard vibrant des narcisses est irrémédiablement attiré par l'espace de la nuit, devinant leurs teintes dans un oeil de chat ou identifiant le drame de leur vie en admirant une tête de cheval. Les petits narcisses brillent devant ces grands espaces, ils rêvent de cette dimension cosmique qui leur manque tant. Après tout, ces fleurs jaunes-bleutées sont elles-mêmes des poèmes que l'espace a commencé. Pourquoi ne pas représenter la vie d'un homme à travers cette fleur ? Pourquoi ne pas symboliser l'attente d'une femme par leur odeur ?


Cat Eye - NASA

70's, Florence - Nature

Enfant, j'avais un ami subtil et éloquent, voleur et conducteur de songes, éclaireur de nuit et gardien de portes.

Né au matin, il faisait résonner sa musique au milieu du jour et le soir, il volait les notes des florentins. Sa vénérable mère l'enfanta le quatre du mois et dès qu'il eut jailli du corps maternel, il ne resta pas plus longtemps couché dans son berceau mais, se levant, il chercha les accords florentins.
Je me souviens qu'en sortant de son foyer, il trouva une tortue et il crut alors posséder une richesse infinie. Avec, il décida de construire une lyre : il fixa des tiges de roseaux coupées à diverses longueurs et il les fit passer à travers le dos de la tortue. Puis, il tendit une peau de fleur et y ajouta ensuite les sept cordes harmoniques. Ayant construit l'aimable instrument, il fit résonner chaque note et la tortue, sous sa main, fit écho. L'ayant vu, son père lui cria par la fenêtre "mais d'où tiens-tu ce si beau jouet à l'écaille variée ?".

Mais c'est que ce jour là - le jour de sa naissance ! - mon ami avait d'autres pensées dans son esprit. Il déposa la lyre creuse et sauta de sa demeure odorante à une colline, méditant dans son esprit une ruse profonde, telle que les voleurs en méditent à l'heure de la nuit noire. Ses pieds ayant encore la fragilité du nouveau-né, mon ami tressa des sandales incroyables et merveilleuses, enlaçant des rameaux et des myrtes, véritable faisceau de feuillage frais.

Et sans attendre, mon ami subtilisa au spectre cinquante notes, en ayant bien pris soin d'effacer ses traces, car il n'oubliait pas son art rusé. Une fois cachées, il abandonna ces notes pour regagner son berceau sacré, enveloppant ses épaules de ses langes, comme se doit de le faire un enfant nouveau-né, tenant sa chère tortue dans sa main gauche.

The Tree of Life, T. Malick

Mais ce que mon ami n'avait pas vu, c'est qu'il avait été aperçu par un habitant... Et quelle ne fut pas sa surprise de voir entrer dans son foyer le lendemain un lumineux florentin ! Mon ami feignit le doux sommeil en tenant sous son aisselle la tortue récemment travaillée. Mais le florentin ne s'y trompa pas et dit à l'enfant : "Dis moi promptement où sont nos notes, ou nous allons nous quereller à l'instant, ce qui ne serait pas convenable". Et mon ami lui répondit, rusé : "Quelle rude parole ! Ce n'est pas là mon affaire et j'ai d'autres soucis : je m'inquiète du sommeil, du lait de ma mère, d'avoir des langes autour de mes épaules et de prendre des bains tièdes. Un nouveau-né volant des notes : tu parles en insensé. Je suis né d'hier, mes pieds sont tendres et la terre est dure". Son lumineux délateur, souriant doucement, lui murmura alors : "Ô petit enfant menteur et plein de ruses, tu auras cet honneur d'être appelé toujours le Prince des voleurs".

Souhaitant échapper à un procès, mon ami, saisissant la tortue de la main gauche, fit naître une mélodie alors que la tortue résonna admirablement sous sa main. Charmé, le florentin lui lança ces paroles ailées : "Voleur de notes, rusé travailleur, tu possèdes là quelque chose qui vaut bien cinquante accords. Quel est cet art ? Cette Muse qui guérit les inquiétudes amères ? Et cette habileté ? En effet, ces trois choses sont réunies pour la joie, le désir et le doux sommeil.". Souhaitant être bienveillant en pensées et en paroles, mon ami lui proposa alors de lui enseigner son art. Il donna sa tortue au florentin, qui lui confia alors la garde des notes. Mon ami promit d'un signe de tête aux habitants de Florence qu'il ne déroberait plus rien et n'approcherait pas des demeures des citoyens.
Le Lumineux Florentin offrit une illustre baguette de félicité et de richesse à trois feuilles : une verte, une violette et une bleue. Il aima mon ami de toute son amitié, lui accordant ainsi la grâce.


2011, Arbre - Mouvement

T. Malick, J. Chastain
- Qu'est-ce que vous faîtes ?
Je relève la tête de mon petit calepin. Visiblement ma voisine de train n'est pas timide.
- J'écris.
- Oui, je vois bien. Mais qu'est-ce que vous faîtes là, avec vos mains ?
- Je... J'écris.
- Tant pis, passons. Et vous écrivez quoi ?
- Un parfum. Enfin, pas vraiment, un texte sur un parfum. Euh... des textes sur un parfum ? Ou non, un parfum sentant des textes ! Et des musiques aussi.
Je m'embrouille, tant pis, c'est elle qui a commencé. C'est étrange d'ailleurs, c'est rare de voir les gens - surtout en ville - s'intéresser à ce que leurs voisins de train font. Puis je repense à l'histoire d'un de mes amis, subtil et éloquent mais un brin voleur : quand on partage ce que l'on aime et ce que l'on crée, on tisse alors des liens qui eux-mêmes mèneront vers d'autres histoires fascinantes.

"L'idée de mouvement est difficile à décrire vous savez" m'entendis-je dire, sans en être certain. "Ce parfum, on pourrait l'écrire avec des points de suspension. Oui bien sûr il y a l'odeur, mais pas que. Vous sentez, il y a des odeurs qui bougent, qui vivent et qui s'animent. On pourrait croire qu'elles crient, qu'elles tombent. En vérité, elles aiment, elles sont en colère, elles se découvrent entre elles. Elles mettent à mal bon nombre de gens par leurs sentiments infra-odorants, qui résonnent de manière inodore, inaudible et invisible. Les silences sont puissants et colorés comme des abîmes. Ecrire sur les parfums, parfois, c'est croire que nous sommes les otages d'un monde muet, où parler d'odeurs ou de couleurs n'a de cesse d'être un combat. Certaines personnes prennent le parti pris des choses, voient l'infini stellaire dans un pain qui cuit ou dans une rose qui s'épanouit dans la Nature. C'est une manière de voir les choses, où quelque chose sourit à travers nous. Sentez."

The Tree of Life, T. Malick

Le train passe une gare en un éclair.
"Certains parfums racontent parfois l'histoire d'une vie : la recherche impossible d'un sport vert, un grenier inaccessible et mystérieux, la découverte d'une chemise de nuit dans la commode d'une maison voisine abandonnée ou encore l'orientation inexplicable vers la première de l'alphabet."

Ma voisine bouge ses lèvres et j'attends que les mots viennent jusqu'à moi :
- Dans toute ma vie d'enseignement, j'ai connu certains étudiants prometteurs qui, fascinés par l'extase unique de la Grâce, de l'Art, de leur Père ou de leur Mère, d'un Dieu ou de la Nature, ont peu à peu délaissé leurs relations avec leurs proches, leur alimentation voire leurs propres désirs humains. Il semblerait que l'Eau de Narcisse Bleu ne cesse de vous évoquer certains de ces parfums insondables..."
Sa remarque est pertinente, jusqu'à ce que je comprenne que ce Narcisse Bleu n'est pas de ceux là. Je la coupe dans son discours.
- Non, l'Eau de Narcisse Bleu c'est l'extase unique, pas l'étudiant prometteur ; ce qui change un bon nombre de choses.

2815, Axiom - Danse

L'humanité a déserté la Terre depuis 800 ans, me laissant seul. Solitude de façade. Le travail ne manque pas, la pensée est totale et envahit tout l'être qui me compose.

Si personne ne nous regarde, alors nous pouvons simplement profiter de nous et de ce qui nous entoure avec une once de narcissisme. Les regards et les pensées étrangères ne briment aucune de nos envies et à nous de percevoir ce que l'on peut faire en toute impunité. Du recul et de l'appréhension, voilà ce qu'il nous faut. Et perdues dans l'espace, les perceptions virevoltent et éclatent en une myriade de couleurs. Quelle bulle a pu les piquer ? De l'endroit où nous observons ces sensations, nous moussons  petit à petit : l'écoulement du silence nous conduit vers un ultime voyage.




Quoi de plus naturel pour toute chose que de danser ? Si les odeurs dansent entre elles dans un flacon, et que notre corps ne peut s'empêcher de lever les bras vers le ciel au moindre accord, alors pourquoi ne pas étendre la danse au parfum ?

Danse : enchaînement de mouvements harmonieux, rythmé par la musique, impliquant généralement deux partenaires.

Peut-on penser que notre humanité a encore sa place ? L'être qui porte du parfum ne se désagrègerait-il pas ? L'être qui crée le parfum ne serait-il pas qu'une vague apparition lointaine, lumineuse et sonore ? Succulente et tactile ? Quel plaisir de sentir que le créateur est en perpétuelle recherche, loin de toute affirmation définitive. Et que dans ses recherches, ayant toutes plus ou moins comme origine un voyage en train lointain dans le passé, il nous a entraînés dans une quête qui dépasse le temps et les lieux, les fleurs et la science. À tâtons, il touche et toque tout tintement. Il n'explique pas, mais pose la question.


Fin du Temps - Mort


Je contemplais mon frère, ce Narcisse aux yeux rieurs et aux cheveux craquants. Le vent gris et grave me poussa à arracher, rageur, les quelques plantes vertes parsemant son souvenir.

"Je vois l'enfant que j'étais."

Le temps s'allonge et d'ellipses en ellipses, finit par se figer, jusqu'aux rivages de l'éternité.
Les odeurs s'échappent et s'évanouissent l'une après l'autre et voilà ma vie imbriquée à jamais au parfum. Un peu à l'image d'un enfant voulant frotter ses mains sales pour faire s'envoler la poudre qu'y ont laissé les ailes d'un papillon mort, je n'avais pas conscience de l'empreinte des odeurs sur ma vie. Peut être que leurs successions, leurs transitions, n'ont pas de signification pour les autres. Néanmoins, la mort du Narcisse me pousse à me rappeler les dernières teintes qui rayonnaient à travers lui, en même temps que ses premières couleurs. Car il en était la somme, il était une seule et même lumière.

"Il est mort à 19 ans", The Tree of Life, T. Malick

"Les cueilleuses nous ont appris qu'aucun de ceux qui suivent le chemin de la Grâce ne connaîtrait jamais le malheur. Je te serai fidèle, quoiqu'il advienne."


J.


Comme convenu dans la première partie des billets sur l'Eau de Narcisse Bleu, un flacon de 200ml de cette Cologne est à gagner grâce à la générosité de la maison Hermès ! Pour tenter de le remporter, laissez un commentaire avec votre pseudo à la suite de ce billet. Le tirage au sort aura lieu dans deux semaines, le mercredi 18 septembre.

Enfin, cela fait aujourd'hui trois ans que notre blog existe, et nous vous remercions pour votre soutien, vos lectures, vos participations. Nous sommes très fiers de vous avoir comme lecteurs, que vous restiez dans l'ombre ou que vous participiez, et c'est vraiment un grand plaisir de pouvoir partager avec vous un flacon de l'Eau de Narcisse Bleu pour cet anniversaire !
Vive l'odorat !