Bonjour,
ici Phoebus. Vous m'avez manqué, ça faisait longtemps. Et je ne
suis visiblement pas parti en stage pour m'améliorer à trouver des
super titres.
Dimanche
dernier, mon portable n'avait plus de batterie. Et comme les gares
n'ont pas le bon goût d'être des aéroports, je n'ai pas pu compter
sur une parfumerie duty-free pour passer le temps la mouillette sous
le nez. J'ai donc fait ce que toute âme en peine qui traîne son
ennui derrière soi dans une gare aurait fait (et NON, j'en vois qui se
demandent, je ne me suis pas improvisé bookmaker du combat de chiens
entre SDF qui se tient régulièrement devant l'entrée du hall). Je
suis allé m'acheter un magazine.
Un
exercice assez difficile, je m'en suis rendu compte. Peut-être parce
qu'il m'est étranger, peut-être aussi parce que la marée
d'exemplaires arbore des titres moins accrocheurs qu'ils ne se tuent
à essayer d'être. Et très honnêtement, après avoir roulé des
yeux au-dessus d'éditions spéciales "Franc-Maçonnerie", j'ai vite
réalisé que sortir d'ici avec un Super Picsou Géant serait le
choix le plus intelligent qu'il m'était donné de faire.
Puis
j'ai vu GQ.
Je
n'en avais encore jamais lu, pourtant j'en avais un peu entendu
parler par les amis d'amis qui brandissent l'application GQ Androïd en
soirée, d'un ton laissant entendre qu'il n'y a pas besoin d'en dire
plus pour justifier l'achat de telle montre et de telles chaussettes
à rayures saveur preppy. Un coin de mon esprit a vaporeusement
enregistré qu'il s'agissait d'une institution mode-bien-être-art de
vivre pour pas mal d'hommes entre 23 et 53 ans. En prenant la
tangente d'une apparente décontraction, ils sont arrivés à toucher
un cœur de cible masculin imperméable aux presses plus pointues en
la matière. La conséquence étant cet espèce de statut de
fashion-gourou qu'ils se sont vu attribuer par ce lectorat même,
prêt à boire ce que le magazine leur donnera.
Je
ne suis pas en train de dire que c'est une mauvaise chose. J'imagine
que niveau mode, les rédacteurs de GQ sont bien calés et ont aidé
une longue liste d'hommes à jeter de leurs placards tous leurs
bermudas. Qu'y a t-il de mal à suivre aveuglément des gens qui
savent ce qu'ils font ?
En
dehors du simple fait que le monde tournerait bien mal si personne ne
développait d'esprit critique, il y a le problème de vouloir
étendre sa gourou-ittude à des domaines qu'on ne maîtrise pas. En l’occurrence, imaginons que GQ se mette à conseiller des parfums
médiocres dans la section spéciale dédiée aux parfums (n'imaginez
plus : ils l'ont fait). On voit d'ici qu'il y aura tout un lectorat
qui attendra, le bec grand ouvert comme des oisillons, que la bonne
parole tombe. Des hommes entre 23 et 53 ans, émancipés, à l'aise
avec leur virilité etc, qui se justifieront de s'être parfumé avec
des déodorants marine étiquetés "parfum" en brandissant
l'application GQ Androïd. Comme une évidence.
FACT
: le lectorat des magazines comme GQ est immensément plus développé
que celui de la blogosphère parfum, et ça agace un poil de les voir
promouvoir en masse ce qu'on s'époumone vainement à signaler comme
mauvais. Alors vous me direz : oui, mais ils ont mis le dernier Bottega Veneta Pour Homme et la dernière Hermessence dans la liste quand même,
faut nuancer. Je vous répondrai que les Hermessences ne sont pas
vendues partout et que dans tous les cas, Invictus reste le moins
cher de la liste. Enfin, de la liste, je suis gentil... Du magazine
tout entier en fait. Ce sera donc vers lui qu'une quantité d'hommes
en quête de style se tournera, pensant faire tout comme il faut,
tamponnés GQ-approved sur le front. C'est un peu la version beauf
d'une mignonne anecdote de chez Chanel : les jeunes femmes qui
s'offrent un rouge à lèvres CC quand c'est le seul médium par
lequel elles peuvent toucher un peu de la magie que la marque leur
inspire.
Ce
que je veux dire par là, en pointant du doigt les articles parfum
made-in presse grand public expédiés à la va-vite (SERIOUSLY les
mecs, associer un parfum à un trait de personnalité différent,
niveau développement c'est genre l'article-parfum qui serait resté
bloqué au stade anal) quand ce ne sont pas juste des
publicités-payées-déguisées, s'illustre à l'échelle
quotidienne. J'en rencontre beaucoup, des gens qui semblent avoir du
goût, qui savent se mettre en valeur, ont une jolie coupe de
cheveux, disent avoir lu les auteurs qu'il faut et connu des artistes
underrated avant qu'ils ne percent. Certains véhiculent autour d'eux
un parfum abject, la dernière nouveauté régressive sans âme et
sans équilibre, sans penser une seule seconde que ce simple mauvais
choix briserait soudainement tous leurs efforts aux yeux (narines ?)
de qui y est éduqué et sensible.
Alors
voilà. Parfois j'ai ce sentiment qu'on vit une époque où n'importe
qui peut être beau ou paraître intéressant s'il le désire, et ce
que nous affichons, visuellement ou dans une discussion, n'est plus
automatiquement révélateur de nos goûts ou de notre sensibilité
personnelle. Il existe vraiment des modes d'emploi pour ça, pour la
société anxieuse du regard des autres que nous sommes. On vous dira
ce qu'il vous faut. Ce qui nous intéresse ici, c'est que ces modes
d'emploi vous diront qu'il vous faut un parfum parce qu'il le faut,
en dépouillant l'intérêt du parfum à ses seules fonctions
nombrilistes, qui sont avoir une présence et séduire. Voilà
comment on en vient à se faire de l'argent sur l'insécurité des
gens et leur manque de questionnement.
C'est
dommage. Je n'apprendrai rien à ceux qui lisent ces lignes en disant
que la parfumerie est particulièrement enrichissante quand on ne
parle plus de produits mais d’œuvres, et qu'on sait distinguer les
secondes des premiers. Quand les fonctions nombrilistes deviennent
secondaires (ne soyons pas de mauvaise foi, elles ne s'effacent
pas..) et laissent place à la contemplation, l'émotion, parfois
même l'introspection.
Je
désespère un peu, on ne pourra plus retrouver en France à grande
échelle cette formidable culture du parfum du siècle dernier. A
cause de ces modes d'emploi, de ces cercles-vicieux, qui ne souhaiteront jamais la mort de la parfumerie - puisque ça rapporte - mais qui l'empêchent de délivrer ce qu'elle a de plus beau à offrir.
1) "insécurité
d'un public qui ne demande qu'à se voir imposer des choix pour avoir
l'impression de tout faire comme il faut"
--> 2) "médias
à grande échelle qui saisissent l'opportunité de devenir les
messies que ce public déjà aliéné attends"
----> 3) "Marques
de parfum qui recherchent le profit maximum en se faisant une bonne
marge sur les formules et en monnayant à l'occasion leur présence
dans les pages du-dit messie"
------> et 4) "les tests
consommateurs menés par les marques pour savoir ce que le plus grand
commun dénominateur aime".
On
en revient ainsi au public non-éduqué, à la fois victime et fautif
de cette spirale vers le bas.
Et
à tout ceci malheureusement je n'ai pas de réponse. Et tant mieux
car c'est peut-être là que se situe la ligne de démarcation entre certains types de presse et certains blogueurs. Nous ne nous positionnons pas en messie, la
blogosphère spécialisée dans le parfum ne se targuera jamais
d'avoir les réponses à quoi que ce soit. Mais notre raison d'être
en tant que passionnés, c'est essayer de trouver les bonnes questions en
espérant être lus et en espérant en susciter d'autres. Un
battement d'ailes de papillon...