lundi 9 janvier 2012

Shalimar, Guerlain - Sweet Transvestite

(it's Phoebus, bitch).


  • Bon allez. J'le dis ou pas ?
  • Non, tous les amoureux de Shalimar vont se mettre à flipper.
  • Y'a aucune raison pourtant... Et en plus c'est juste une image personnelle.
  • Rappelle-toi de L'Heure Bleue, certains ont mal digéré le coup de la mamie fourrure.
  • Mais ça, ça prouve juste qu'ils ont pas lu l'article jusqu'au bout... c'était une critique positive en fait.
  • Anyway c'est tendu ton thème là. Y'aura forcément quelqu'un quelque part qui trouvera le moyen de mal le prendre, ou...
  • Oh et puis croûte à la fin, je le dis quand même, j'y tiens.


Oui, j'ai des dialogues intérieurs parfois. (Mais ne vous inquiétez pas, nous allons très bien).
Bref, j'ai senti Shalimar à la bibliothèque sur un transsexuel.


"I'm just a sweet transvestite from transexual transyl-vanilla"


Et c'était supercool pour des raisons que je vais développer dans quelques secondes, mais d'abord je préfère mettre les choses au clair : les références à Tim Curry du Rocky Horror Picture Show s'arrêtent là. C'était juste pour l'accroche. Oui, parce qu'au contraire le transsexuel-de-la-bibliothèque que j'ai croisé en juin pendant mes révisions était très femme, lui.

La bibliothèque en question reste ouverte jusqu'à 23h. Le jeudi soir, il n'est pas rare d'y croiser des étudiantes un peu trop élégantes pour le contexte, mais qui gagnent ainsi du temps en sortant danser directement après la fermeture sans devoir retourner chez elles pour se changer. Pour cette raison je n'ai pas été surpris d'entendre des énièmes talons claquer le long des tables, et encore moins de constater une petite robe rouge sous de très longs cheveux noirs se diriger vers un rayon précis de la section économie. Plus surprenant en revanche, la réponse du sillage qui m'atteignait au moment où l'étudiante disparaissait à l'angle. Lourd, à contretemps, c'était Shalimar dans une version qui était au moins l'Eau de Parfum !.. J'en ai posé mon stylo. C'était tellement plus que ce que j'espérais croiser dans une bibliothèque.

Shalimar fait parti de ces parfums mythiques qui évoluent de manière surprenante sur une journée, mais conservent malgré tout une saveur, une identité, une signature évocatrice à n'importe quelle heure. Rien ne disparait vraiment, seules les proportions changent : ainsi la violence du départ bergamote ascendant vanille/opoponax se mue suavement en une vanille/opoponax ascendant bergamote dans le dernier acte. Ces matières dominent à mon nez, et font toute la magie de Shalimar, mais cet "accord type" ne serait rien sans le soutien du patchouli, du benjoin et de l'iris qui forment un joli écrin de cuir et confèrent une surprenante, puissante marque masculine à l'ensemble. Un parfum du temps où on savait que femme et girly ne veulent pas dire la même chose.

Le tempo de ses chaussures m'avertissait de son retour imminent, mais la vérité c'est que je ne m'étais pas remis à travailler : j'attendais qu'elle ait fait son choix, tourné vers l'allée, me demandant quel genre d'étudiante pouvait snober ainsi les sucraillons mainstream dont elle était le public cible.

De face, le manuel qu'elle tenait nouvellement du bout des doigts a d'abord attiré mon attention sur ses ongles entretenus très longs, et d'un rouge plus soutenu que la robe, plus proche de celui des lèvres. Mais presque instantanément, je notais que ses hanches étaient peut-être un peu trop droites, ses épaules peut-être un peu trop marquées, et sa mâchoire peut-être un peu trop... Ou pas assez ...? Malgré un maquillage et une coiffure soignés, le doute était permis et s'est 'peut-être un peu trop' trahis sur mon visage. L'espace d'une seconde.

Je souhaite sincèrement qu'il ne l'ait pas remarqué. Ou bien est-ce l'habitude qui lui a enseigné à conserver malgré tout, face aux regards, cette démarche confiante sur des talons plus hauts que beaucoup de femmes ne pourraient supporter ?

Seconde vague de Shalimar.

J'étais, en fait, fasciné, par cet homme (homme car de face il avait sans doute plus de 25 ans, tenait plus du chargé de travaux dirigés que de l'étudiant). J'ai toujours été secrètement admiratif des transsexuels. Peut-on être plus brave ? Peut-on être plus honnête ? J'envie cette manière extrême de pouvoir dire "voilà ce que je suis, voici comment je m'aime", d'incarner une vie qui à elle seule est un majeur levé à une société qui ne sera jamais en mesure de comprendre ce qui déborde du traditionnel. On a tous plus ou moins des difficultés à assumer ce qui nous plait et la façon dont on souhaite l'exprimer, nos passions, ce qui fait vivre, coupe le souffle – on peut choisir, on choisi souvent, de se taire, de s'aliéner pour préserver la quiétude des tiers qui ne nous en souhaitent pas tant, par amour, ou par peur de la marginalisation, ou par, ou par.

Le regard des autres m'a toujours atteint et déterminé de manière considérable. On m'a élevé dans la peur de décevoir. Je sais que je ne suis pas dans cette bibliothèque pour les bonnes raisons.

Shalimar, c'est beaucoup de choses. C'est "la demeure de l'amour" en sanscrit. C'est le parfum le plus féminin qui trônera à jamais dans les Sephora, le plus masculin également, le plus sexualisé en tous cas, la rencontre. Shalimar, c'est un best-seller porté par une grande quantité de mamies-fourrure "parce que c'est du Guerlain". Shalimar, c'est le parfum d'une vie pour une infinité de femmes – je ne crois pas aux parfums d'une vie. Et pourtant, porté par ce jeune homme, Shalimar arrivait à devenir l'une des plus belles manifestations d'individualisme qui m'ait été donné de sentir, si juste, précisément juste, le parfum d'une vie, tu ne crois pas aux parfums d'une vie, et alors ?


Shalimar enfin, c'est la certitude de quitter une pièce en laissant planer derrière soi ce majeur levé, ce fond queeré-vanillé à tomber par terre, une éternité.