mercredi 29 octobre 2014

Les envies d'automne.

Hocus Pocus Phoebus



        Je travaille trop. Le fil de mes pensées est constamment saturé. La route que j'emprunte chaque jour est la même, puisque je n'y fais pas attention.
        Mais un matin, les marronniers sont en feu sous un ciel bleu compact, la lumière est magnifique. Des feuilles mortes tourbillonnent au sol et s'écrasent contre mes bottines. Je réalise à temps que nous sommes en octobre, la nature était prête à faire tomber des bogues sur ma tête. 


ce collage à deux francs sur paint s'intitule "écureuil sous acides"



        Je travaille trop, donc. C'est précisément ce qui m'oblige à m'aménager une heure pour rédiger ce billet. J'ai cette horrible impression de ne plus être maitre de mon temps et de courir après l'impossible. Mon cœur bat constamment la chamade alors que je suis assis sur ma chaise.

        Mes parfums sont encore dans leur carton de déménagement ouvert dans un coin, je dis que je les rangerai demain, je ne le ferai pas. J'ai promis beaucoup de choses aux assiettes sales sur la table basse, aussi.

        Mon piano dans l'entrée me sert de porte-manteau.

        Mon portable vibre comme un chat crache, et liste les remontrances de mes proches. Je ne leur accorde pas assez de temps. Je répondrai quand j'aurai fini de travailler. Mais quand je termine, je m'endors.

        J'aimerais profiter de la capitale, dans laquelle je viens d'emménager. J'aimerais que ma vie soit aussi simple que de shooter dans les feuilles mortes sur le trottoir, aussi douce qu'un air de jazz.
        J'aimerais m'intégrer sans effort dans ces nouvelles rues, mon parfum servira de liant.
        Je voudrais avoir le temps, donc je vais le prendre. 





       Ce billet est en fait un ricochet lancé par Musque-Moi sur le thème des classements d'automne. Il y a le sien, et puis celui de Dau, de Thierry, ect.   
   
       Je n'en avais jamais fait. Je m'attendais à ce que des différences significatives apparaissent d'une année à l'autre, mais je me rends compte que je vis sur des nuances.
        En hiver je remets les compteurs à zéro, je recherche l'épure et l'impeccable. Les eaux chyprées, le printemps venu, annoncent sobrement le festival de fleurs blanches dans lequel je me vautre en été. Suivant cette logique, il ne m'est pas du tout surprenant de constater qu'en automne j'ai envie de parfums plus riches, plus tactiles, plus chaleureux. A l'image des paysages orangés, des récoltes abondantes sur les étals des marchés, c'est une parfumerie pleine, ronde et épicurienne qui s'impose à moi. On a trop tendance à voir l'automne comme un reflux, ou une redescente, un printemps triste, mais l'automne, métaphoriquement ce n'est pas encore la mort. On peut choisir de le voir comme une bulle vibrante de vie, sur le point d'éclater, un été exagéré. A trop se concentrer sur la courbe du mercure, on ne rêve plus.

       Évidemment, dans ce classement je ne parle que d'envies passagères et récidivantes propre à la saison. Je peux voir Mitsouko apparaitre quasi-systématiquement lorsqu'il faut parler d'automne, mais je ne l'évoquerai pas ici puisque je le porte toute l'année (je l'ai d'ailleurs acheté au printemps).



       Pour parler d'envies d'automne, donc, au sens "femme-enceinte-réclamant-une-glace-à-la-fraise-nappée-d'olives-vertes" du terme, l'illustration la plus évidente est mon rapport à la vanille. Il n'y a qu'en automne que je la recherche. Ou du moins, que j'en cherche la coloration, puisque je ne me dirige pas exactement vers des solinotes alimentaires, mais vers des parfums plus construits dans lesquels elle apporte l'éclairage mordoré d'un soleil automnal.
        L'automne dernier, j'ai vidé avec délice la moitié d'un flacon de Vanille Absolument (feu Havana Vanille) de l'Artisan Parfumeur. Il y a quelque chose d'assez fabuleux dans son départ, un décollage scintillant (qu'on sait labeler aujourd'hui de "duchauffourien") quoiqu'un peu trop doux pour certains. On imagine sniffer une ligne de sucre vanillé. Mais par la suite on retrouve une gousse au naturel, fondue dans le foin et le tabac, un must-have pour tous vos gros-pull-tout-doux-tout-chaud.

       Cette année, ma dernière et toute récente acquisition est un fond de flacon de la première version de Shalimar Ode A la Vanille. Il sert sa vanille comme je l'aime, androgyne et enveloppée dans d'autres étoffes... Il comble d'ailleurs également mes envies d'ambres.

     
   L'ambre (plus généralement "l'effet ambré", en fait), m'ennuie assez vite s'il chante trop fort dans la composition. Mais en automne je lui ouvre grand les bras. Alors est-ce la couleur orange qu'il évoque, ou la sensation de "plein" et de "satisfaisant" qu'il procure immanquablement aux narines, et qui le rend indissociable de cette saison à mes yeux ?. Une autre piste à explorer serait mon désir secret de me réincarner en bougie d'intérieur (ce qui demande encore moins de responsabilités qu'un chat de salon, pensez-y).
        L'ambre Russe de Parfum d'Empire, et Ambre Sultan de Serge Lutens sont les ambres qui surnagent dans mon estime. Ce dernier en particulier me donne l'impression, lorsque je le porte, d'être on fire, un peu comme la nana des jeux de la faim.


   
    Ma dernière envie d'automne, et j'ai eu l'impression qu'elle était nouvelle l'espace d'un moment, c'est le vetiver. J'ai porté Encre Noire de Lalique sur une base bien trop longue pour que cela caractérise une envie saisonnale. Mais récemment, en ressentant Sycomore de Chanel, l'évidence s'est imposée – alors qu'objectivement ce n'est pas cet Exclusif-là que j'aurais tendance à poursuivre en premier. La facette "pin" de la racine m’obsède et évoque bien plus précisément une ballade en forêt pour moi que la plupart des patchoulis qui sont connus pour leur aspect "tapis de feuille morte".
       Remettre le nez dans les vetivers me ramène invariablement à ma passion pour Habanita. La version EDP d'aujourd'hui lui a rabotté sa racine, mais quiconque possède encore un flacon de l'EDT vénère la raideur du départ qui fait se dresser les poils des avants-bras. Je le porte encore régulièrement mais à une époque, c'était vraiment tous les jours. Tous les amis qui me connaissaient en automne 2011 en ont un souvenir indélébile : le vetiver, la vanille, l'ambre entre autres... tout était déjà là, et finalement moi je n'ai pas changé.