mardi 18 mars 2014

La Panthère - Cartier : Tous à pelage ! (1ère Partie)

Avant-propos
Je n'aborderai ici nullement l'olfactif de la dernière création de Cartier, La Panthère, mais je parlerai de l'élan apporté par ce nouveau parfum au sein de l'industrie de la parfumerie. Je serai plus proche du parfum dans un autre billet qui sera publié ISM sait quand, mais vous pouvez toujours lire le texte que nous lui avons consacré avec Jeanne et Opium sur auparfum.


La Panthère - Cartier


La Panthère est bien plus que la réussite d'une femme, c'est le succès de toute une marque qui s'avère être encore une des rares à avoir une réelle vision de la parfumerie ; une vision insérée aussi bien dans l'histoire d'une maison que dans celle de la parfumerie. Le lancement de La Panthère est accompagné d'un discours qui fait plaisir à entendre, et surtout qui est mis en application et dispose d'une vraie portée sur le grand public.

En effet, à l'heure où la plupart des acteurs de l'industrie de la parfumerie avouent sans vergogne (mais bien sûr quand les micros sont éteints) que "le parfum c'est que du business" (les mêmes qui clament "le parfum c'est avant tout une part de rêve" face aux journalistes) ; qu'il faut "rompre avec cette vieille parfumerie" (on dit la BELLE parfumerie, vieille bique) ; Cartier revendique une empreinte historique, bien évidemment replacée dans un contexte contemporain. Et qui mieux que Mathilde Laurent pouvait exécuter avec brio une création qui découle d'une véritable culture parfum ?

Sans vainement chercher à se dissimuler derrière Jacques Guerlain, Edmond Roudnitska ou François Coty, Mathilde Laurent a fait déborder de cœur une création à l'ambition toute personnelle. Si les références pleuvent, elles glissent comme autant de clins d’œil : douceur, velours, la construction du véritable chypre moderne par Mathilde Laurent invoque des images de nuages gigantesques traversant le ciel au ralenti.

Mathilde Laurent => #Jicky'sLove
source : Elisabeth de Feydeau
J'ai une pensée émue pour Josiane et Coralie, qui travaillent avec passion au stand Cartier des Galeries Lafayette Haussman. J'aimerais qu'elles sachent et soient conscientes qu'à chaque flacon de La Panthère qui se vendra, ce sera un combat de gagné pour la parfumerie. Car dire de ce lancement qu'il représente simplement ce que devrait être la parfumerie ne suffit pas vraiment. Oui, la parfumerie se devrait d'être de ce niveau là, malheureusement ce n'est pas le cas. Par conséquent, n'avoir que faire de La Panthère, c'est négliger une visibilité qui lui permettrait une once d'influence sur la créativité olfactive et sa compréhension. C'est d'une certaine manière se détacher et abandonner une parfumerie grand public qui sombre par un manque d'éducation, de curiosité et d'exigence. A ce stade, il ne s'agit plus de se réduire à une critique du parfum pur, à un j'aime/j'aime pas.

Il s'agit de se rendre compte que le prochain parfum grand public d'un tel niveau et d'une telle ampleur pourrait se présenter seulement dans très longtemps. J'espère bien évidemment me tromper en disant ça : j'espère que l'année prochaine - qu'à la rentrée de septembre prochain oui ! - une véritable nouveauté frôlera par sa puissance créatrice celle de La Panthère. J'espère que dans six mois, vous aurez quatre textes de sept cents mots sur un seul et même parfum, rédigés en pleine nuit par un Jicky pétri d'enthousiasme.

Ainsi, voilà ce qu'est La Panthère : le symbole d'une grande réussite dans la parfumerie d'aujourd'hui. Ce parfum n'est pas calculé avant tout pour séduire une tranche d'âge en particulier, en vue d'une estimation hasardeuse en volumes écoulés pour les statistiques de janvier 2015. La Panthère existe en elle-même et pour elle-même. Des œuvres de ce calibre, de cette puissance symbolique - et ici olfactive - sont rares et souvent boudées ; mais elles aspirent au vrai sens du "parfum culte". Une centaine d'années après la naissance des chefs d'oeuvre Guerlain qui font passer les Coty pour des brouillons, Cartier rétrograde Coco Mademoiselle et rejoint For Her dans la famille des véritables chypres modernes. Quelle joie que de supposer que dans quelques décennies, les gens se souviendront avec plus de bonté de ce parfum que de celui qui trustera les ventes l'histoire d'un semestre.

En attendant, La Panthère de Cartier s'avère être une délicieuse anomalie, le deus ex machina qui dérègle une morbide industrie, le débris stellaire qui vient tuer le père pour libérer la mère afin de créer un nouveau monde. Un parfum qui contient son propre monde, juste un parfum, juste pour le parfum.

J.

lundi 10 mars 2014

MITSOUKO - Ceci n'est pas un article.


Non, c'est le titre d'une nouvelle (un peu maladroite).

Je m'y étais déjà essayé il y a 3 ans, celle-ci est beaucoup moins centrée sur le parfum mais si vous avez envie de la lire, j'espère qu'elle vous plaira. 

MITSOUKO


Par Phoebus.


        La fumée s'ouvre comme un rideau, mon visage émerge. J'entre dans la trentaine à bout de souffle au dessus d'un gâteau au chocolat.



        Une pluie d'applaudissements me félicite ou me condamne, l'intention n'est pas claire. Cette main que pose ma mère sur mon épaule, tout en découpant le dessert de l'autre, a un touché étrangement compatissant, non ? Et mon père sourit sans plisser des yeux. Fuyants, les yeux.

        J'imagine mes tantes parler bas dans la cuisine, en les voyant s'éloigner encombrées d'assiettes sales - et non, je ne suis pas folle de penser qu'une pie chante. J'ai suffisamment aidé à débarrasser des assiettes pour savoir que les absents ont toujours tort.

        Je sais exactement ce qu'ils ont en tête. Ce qui ne s'est pas dissipé avec la fumée des bougies. Il n'y a que les hommes un peu trop saouls qui soient honnêtes à un repas de famille : je ressers distraitement un verre de digestif à mon oncle.





                                *******





        Lentement, je déchire le silence avec l'emballage des cadeaux qu'on me donne. Des crèmes, des soins. Mes doigts caressent aussitôt des pattes d'oie imaginaires. Je repense à la jolie lingerie que ma mère m'a offert en confidence un peu plus tôt, avant que les premiers invités n'arrivent. Visiblement un thème récurrent émerge et je sens des papillons naître dans mon estomac, ainsi qu'une appréhension bizarre. Je sonde les visages à la recherche d'une sourire moqueur. 
        Mais le dernier paquet a une apparence bien plus innocente.

- On sait que tu aimes beaucoup la parfumerie, appuie l'une de mes tantes alors que je soupèse un flacon rose en forme de pomme d'amour.



        J'embrasse toute la tablée en me demandant si quelqu'un reconnaîtra Mitsouko dans mon cou. Les papillons se calment un peu. Le choix est très mauvais, mais au moins l'intention est bonne. Elle n'a pas tord : j'aime la parfumerie. J'aime une certaine parfumerie comme d'autres aiment Dieu, on peut parler de passion. J'ai tissé un lien très personnel avec des créations qui m'inspirent, m'interrogent et parfois me révèlent à moi même. Je considère qu'un amour est nécessairement intime, et si on me l'avait demandé j'aurais pu révéler quels parfums m'auraient vraiment fait plaisir - je procède ainsi pour mes proches. Deviner est un risque, et un mauvais cadeau a parfois la saveur d'un mariage forcé.



- On n'allait pas prendre n'importe quoi. Je voulais quelque chose de frais, de jeune, pour notre petite Pernelle, poursuit ma tante avant d'ajouter avec malice : la vendeuse nous a assuré qu'il plait beaucoup aux hommes.




        Voilà autre chose. Je rends le sourire qu'elle m'envoie mais pas son clin d’œil. J'ai coché mentalement les mots jeune et plaire dans la liste du prévisible. C'est vrai, à quoi bon s'embêter avec mes goûts bizarres quand ma priorité devrait être d'attirer cet échantillon de deux cent hommes pris dans la rue pour une étude de marché ? 
        Mes joues chauffent, je ne peux plus ignorer le carton plein : chacun de ces cadeaux a été pensé pour me rendre ou me maintenir désirable. Il s'agit de ma famille donc je veux croire que mon bonheur est l'unique finalité de leurs intentions, mais je suis effarée qu'ils ne puissent envisager atteindre ce but autrement qu'en me voyant appartenir à quelqu'un. En fait non : j'en suis fatiguée. Cette pression est tout sauf un phénomène nouveau. Elle est perverse, diffuse, toujours là au détour d'une phrase. Je m'attends dès le premier bretzel que je croque à ce qu'on commente de façon intrusive ma vie privée : C'est quand que tu nous ramènes quelqu'un ? Quand même, il serait temps. Ma chérie je crois que tu travailles trop. Au fait il faut que je te présente le fils du buraliste, un de ces jours. Très mignon.

        Je suis trop faible pour taper du poing sur la table.



- Ça ne va pas ma grande ?

        Près de la fenêtre mon père me regarde en humectant sa roulée. Je pose le flacon, à qui je m'adressais mentalement comme s'il s'agissait d'un crâne. Naturellement discrète, mon silence n'avait interpellé personne, mais mes états d'âme se traduisent toujours en tâches roses sur mon visage et mon décolleté.


        Mon oncle aux oreilles rouge vif intervient juste à temps pour m'empêcher de mentir, en énumérant joyeusement les effets secondaires du schnaps - je ne bois pas d'alcool. Mais mon père oublie ce genre de détails et, peut-être satisfait par cette réponse, tourne le dos à la pièce pour soupirer sa première bouffée. J'oublie à mon tour que souvent, il pose simplement les questions qu'il aimerait qu'on lui pose.




                                *******


        Ils vont divorcer.


        Je m'attendais depuis l'adolescence à ce que ma mère me bloque dans le couloir et me l'annonce d'une voix basse. La seule véritable surprise est qu'elle m'en ait informé tout en me tendant un paquet cadeau Aubade, entre un joyeux anniversaire et un si tu veux changer j'ai le ticket de caisse.
        Un simple "ça ne va plus" m'a été donné comme explication. Je la trouve mal formulée. Car : est-ce déjà allé ? Les ais-je déjà vu s'embrasser spontanément, se sourire et se comprendre, se soutenir ? Je veux bien croire à une certaine pudeur, je veux bien croire en partie à la routine ou l'érosion de la passion. Mais d'aussi loin que je me souvienne, non, ça n'est jamais allé.

        J'étais l'enfant bavarde, un point de convergence pour éviter de se regarder en face. En grandissant c'est le poste de télévision qui a repris ce rôle. J'étais l'ado muette ou révoltée, le sujet d'interminables disputes. Coincée entre deux gardiens de prison sur le canapé, je culpabilisais d'incarner – et pas que physiquement - ce qui les séparaient. L'étudiante qui rentrait les weekends avait la volonté de redevenir un trait d'union entre eux, réfléchissant à des sujets de conversation dé-minés tout en préparant le repas. L'instabilité du climat de notre foyer était ridicule. Je préférais battre l'huile et le vinaigre dans un acharnement désespéré plutôt que d'avouer à voix haute qu'il n'y a plus de moutarde, de peur qu'ils ne commencent à s'accuser l'un l'autre d'avoir oublié d'en acheter. La troisième guerre mondiale tenait à ça.



        Alors pourquoi, je me demande encore en les regardant derrière mon éventail de cartes. C'est du masochisme de maintenir aussi longtemps une situation aussi éreintante.

        Ma tante pose un atout et nous remportons la manche. Mes parents sont en train de perdre à la belote, mais ils sont en équipe. C'est peut-être ça la raison. Parce qu'il faut avoir un partenaire dans la vie, même si c'est pour la rater. Ce sont les règles du jeu. Je n'ai jamais vraiment aimé la belote.







                                *******




        Ma grand-mère somnole sur le canapé. Je remarque le crucifix discret, accroché au mur au dessus d'elle – je veux dire, je suis passé devant un nombre incalculable de fois mais aujourd'hui, je trouve un sens à sa présence. J'y voyais un ornement classique. J'y reconnais maintenant un sceau porteur de valeurs, de coutumes. J'y vois la perpétuation d'un modèle de vie. Une simple croix dans l'intimité d'un foyer, qui en dit si long sur ses habitants. 
        Mes yeux descendent le long du mur pour revenir sur ma grand-mère assoupie. Sa poitrine se lève lentement sur ses bras croisés, ses sourcils sont très froncés. Je n'ai aucun mal à imaginer son accent alsacien menacer ma jeune mère d'être mise à la porte si elle ne se mariait pas avant d'accoucher. Or, je ne pense pas que le Nouveau Testament ait jamais imposé ce genre de procédures.




        Je me demande si mes parents ne sont pas restés fictivement à l'âge de 20 ans, à l'époque de leur rencontre. 30 années de mariage, comme une ellipse avec un retour fracassant à la réalité. La solitude ne ment pas. Un développement personnel avorté sous une pluie de riz à la sortie d'une Église - il y a de quoi sourire. Puis je suis née, parce que moi, on n'allait pas m'avorter. 
        L'ennui avec les crises identitaires, c'est qu'elles se périment. Elles sont tout à fait saines lorsqu'elles agitent des esprits jeunes. Mais le décalage semble insoutenable à l'âge de raison. Je suis au courant pour les anti-dépresseurs de ma mère au fond de sa table de nuit. J'ai conscience que mon père, ce bon chrétien, change l'eau en vin bien trop souvent chaque soir. Et ça me tue. Je ne peux pas les aider comme on aide une bonne copine à se remettre d'une rupture, parce que le problème n'est pas là, ce n'est pas un cœur brisé. C'est bien plus foireux et compliqué que ce qu'un pot d'häagen-dazs devant un DVD de sex & the city peut résoudre.


        La question m'obsède et je ne vois pas d'autre explication : le couple est l'ennemi de la jeunesse. On nous pousse trop tôt à le rechercher mais ce n'est ni plus ni moins que l'exutoire de la lâcheté. Sans prendre en considération la dimension du besoin sexuel, c'est un écran sur lequel on projette toutes nos angoisses à un stade de notre vie où on est en pleine construction. Cela nous évite d'avoir à affronter ce qui nous dérange chez nous, ou d'effectuer le travail nécessaire pour gagner en amour propre. L'amant, c'est le bouc émissaire par lequel on se déresponsabilise d'être en charge de notre propre bonheur. Les jeunes livrent toute entière l'estime d'eux même au regard de l'autre parce que c'est plus facile. Si quelqu'un nous aime, c'est qu'on est digne d'être aimé, CQFD, alors pourquoi chercher plus loin ? 
        Il faut chercher plus loin et ça demande du courage. Il faut avoir le courage de s'aimer soi même, de se regarder vraiment dans la glace sans détourner le regard. On naît seul comme on mourra seul, après tout. Et entre temps, pour espérer être capable d'aimer son prochain, il faut faire ce travail, il faut chercher à s'améliorer, il faut que notre paix intérieure ne dépende pas d'un autre. Autrement, on est dans l'attente. On attend toujours quelque chose, on exige passivement de l'autre qu'il nous apporte ce qui nous manque. Et on est souvent déçu. Et on sait qui blâmer pour ça, ce qui est arrangeant. En vérité la jalousie est bien moins souvent le manque de confiance en l'autre que le manque de confiance en soi. S'il ne lui dit plus qu'elle est belle, elle se sent laide. Si elle n'a pas confiance en elle, sa libido baisse. Si elle ne le désire plus, il se sent impuissant. Et puis vient l’agressivité, l'inévitable réponse du mal-être, qui s'insinue dans le quotidien comme une maladie.

        Le couple sert à partager le bonheur, pas à le fonder. Ce n'est pas une fin en soi et je l'ai compris bien trop tard. J'ai aimé, j'ai exigé, j'ai été frustrée, j'ai pleuré, j'ai insulté. J'en ai voulu à plusieurs Autres dans ma vie avant de réaliser que je ne pouvais en vouloir qu'à moi même. C'est la seule promesse que je me suis faite : apprendre à m'aimer et m'épanouir seule avant de m'autoriser à vieillir avec quelqu'un.
        Le bonheur ne se trouve jamais dans la dépendance. Je suis persuadée qu'il est furieusement individuel. Il se côtoie, il en inspire d'autres, mais il ne se partage pas, sinon ce n'est qu'une illusion. D'ailleurs une rupture n'est que l'éclairage cru de l'état dans lequel se trouvait individuellement deux personnes au moment de se rencontrer. Et à 50 ans, quand on a passé la majeure partie de son existence à s'ignorer, on ne connait plus que ça, la fuite. Les médocs, l'alcool ou Dieu sait quoi d'autre, chacun sa méthode. Parce que tout, tout, tout est de la faute de l'autre, bien sûr.

        Ma mère revient dans la pièce en tenant une cafetière fumante. De sa main libre, elle tire nerveusement sur son T-shirt informe, et je me demande si elle s'est un jour trouvée jolie. 
        Je sens ma rancune évoluer vers une forme de compassion. Je lui en ai voulu – à elle, principalement - pour son insistance à me voir suivre rapidement un chemin qui ne lui a même pas réussi. Je trouvais cela absurde en soi. Je réalise maintenant qu'elle ne connait aucune autre façon d'être heureuse, et n'y a probablement même jamais réfléchi. Alors c'est le mieux qu'elle pense pouvoir me souhaiter, et elle espère simplement que j'aurai plus de chance qu'elle n'a eu.                 Je décide de ne plus lui en vouloir, d'ignorer ce qui m'agace pour n'accepter que sa bienveillance. Je sais que la chance n'a rien à voir là dedans et je refuse de voir la vie comme un jeu de carte.





                                *******





- Mamie, tu me remplaces ?



        Cette fois ci, mon équipe perdait à la belote. Par automatisme, quelqu'un a cité l'adage "malheureux aux jeux, heureux en amour" et j'ai ressenti le besoin urgent d'aller prendre l'air avant que la conversation ne dérive vers ce terrain.



        Le soleil se couche – c'est déjà la fin d'après-midi ? La lumière est belle pour un mois de Janvier. Elle est toujours belle à la campagne. Je crois qu'à elle seule, elle rend supportable mes séjours en province. Une brise glacée disperse mes cheveux et Mitsouko se rappelle à moi.

        Avec un sourire je m'adosse au perron, remonte la fermeture de ma veste jusqu'au menton et place une mèche de cheveux sous mon nez comme une moustache. Quand soudain des bruits.

        Je me retourne et fixe la porte d'entrée, qui étouffe le volume des voix derrière elle avant de s'ouvrir avec énergie. Un jeune homme dont j'ai oublié le nom se mord les joues en s'éloignant sur le gravier, les mains enfoncées dans les poches. Ma jeune cousine, de dix ans ma cadette, apparaît à son tour d'un pas traînant. Elle pianote sur son téléphone en ralentissant, puis lève la tête en entendant claquer la portière de la 206 tuning. Je lâche ma moustache quand elle me remarque.



        Elle s'appelle Marie, et elle aurait pu être jolie. Un maquillage lourd dissimule de beaux yeux qui n'en demandaient pas tant. Ses cheveux ramenés en une queue de cheval hurlent la douleur des décolorations successives. Je grince toujours des dents en remarquant le piercing sous un coin de ses lèvres, qui brise la régularité d'un visage que beaucoup envieraient. J'ai noté un peu plus tôt que son copain est percé au même endroit.

- Il me saoule, donc on va rentrer, soupire t-elle avec humeur.

        C'est la première fois qu'elle m'adresse la parole de la journée. Je me remémore ces deux-là sur le canapé il y a encore vingt minutes, bras et jambes noués comme des écouteurs au fond d'une poche.        Quelque chose d'indéfinissable dans son attitude laisse pourtant penser qu'elle est secrètement satisfaite par son petit drame. Elle poursuit en haussant les épaules :



- Il trouve que je suis fringuée comme une salope pour venir à ton anniversaire.



        C'est ridicule bon sang, elle est en jogging. J'avais oublié à quel point le qualificatif de salope était employé à toutes les sauces dans ce village. Tant qu'à faire, je lui demande pourquoi son copain n'a réalisé l'outrance de sa tenue qu'en fin d'après-midi.
- Et tu verras qu'en 2015 les sneakers feront pute aussi. 
- C'est pas tant la tenue, en fait il a commencé à s'énerver quand tonton Roger m'a dit que je m'embellissais en grandissant.
- OK, là je comprends mieux. C'était vraiment grossier de sa part (elle rit). Non sérieusement, c'est débile de prendre la mouche comme ça.

        Un appel de phare nous interrompt, et Marie fait signe d'attendre par un geste agacé en direction de la voiture.
- Il s'énerve parce qu'il est jaloux, c'est tout.
- D'un oncle. C'est nul.
- Je préfère qu'il soit jaloux. Ça montre qu'il tient à moi.
- Ça ne montre rien du tout.




        Elle me fixe sans comprendre. J'ouvre la bouche puis la referme.
        J'aimerais lui dire qu'elle se trompe et j'aimerais lui expliquer pourquoi. J'aimerais lui apprendre qu'elle aurait pu s'habiller comme elle le voulait sans que cela ne lui porte préjudice. J'aimerais leur expliquer à tous les deux qu'il n'est jamais correct d'appeler ou de se laisser appeler "une salope". J'aimerais qu'ils comprennent que la jalousie n'est pas une preuve d'amour. J'aimerais qu'elle réalise qu'elle n'a de comptes à rendre qu'à elle même. 
        Mais j'ai eu 20 ans moi aussi, et je sais à quel point on se ferme aux conseils qu'on n'a pas demandé. Après quelques secondes de silence, elle me fait la bise et rejoins la voiture.


        La nuit est tombée vite après leur départ. Je n'ai pas très envie de rentrer alors je nettoie le perron en shootant dans les graviers qui s'y sont perdu. 
        Je n'ai aidé personne aujourd'hui. Ni dedans, ni dehors. Un sentiment d'impuissance me voûte légèrement le dos. Je me demande si j'ai raison. Si le vrai bonheur est à ce point individuel qu'on ne peut l'aider à naître chez les autres. Je veux juste que le monde soit un peu plus beau et dans un sens, ce serait dur d'accepter que je ne puisse pas y contribuer.



        Puis mon portable vibre et m'annonce un nouveau message en provenance d'un +33 :



<<Au fait, tu sentais bon.>>



Et je me dis que finalement, je n'ai pas complètement perdu ma journée.




                                        *



NDLA : Je suis désolé, il n'y a pas franchement-franchement de twist final. J'ai commencé à écrire en ayant en tête les codes de la nouvelle, et au final je me suis laissé déborder. Donc j'ai coupé le texte ici pour la publication sur le blog, il y a quand même la fin d'un arc donc ça me semblait assez pertinent.

dimanche 2 mars 2014

Infusion d'Iris, Prada - les premières bonnes impressions, et les secondes.

                                                                            Par Ph666ebus.



     Est-ce que le diable se parfume aussi en Prada ? Ce ne serait pas étonnant – et puis comme ça il aurait bon goût sur toute la ligne. C'est ça qui est fascinant avec le parfum, avec l'art en général, ses portes ne se ferment pas aux connards. On peut être antisémite et génie des fringues. On peut être misogyne et en même temps réalisateur de talent. Alors oui, peut-être que le diable porte infusion d'iris, perché sur des talons de douze, la beauté se fiche bien du karma. 



Par contre il parait qu'on ne peut pas jouer au foot et tromper sa femme en même temps, mais ça on s'en bat les civettes.
 


     Vous l'aurez deviné, j'ai regardé hier ce film cul-cul-te où une Anne Hathaway new-yorkaise bat des cils en trottinant derrière une Meryl Streep sans pitié, ses valeurs confrontées aux tentations égoïstes à chaque croisement de rue. Le tout sans renverser le double capuccino de sa patronne, et avec des looks d'enfer.

     Dans cet univers où la belle fringue est omniprésente, l'iris trottinait dans un coin de mon esprit. L'iris m'évoque toujours la souplesse d'un vêtement élégant et confortable - le plus souvent juste élégant, le plaisir de se sentir altier valant bien la souffrance. Tout dépend de la façon dont l'iris est traité, mais sa beauté reste en tout exemple une constante.

     Je retrouvais l'iris dans Meryl Streep, dans la couleur argent de ses cheveux, dans son attitude pincée, dans sa poigne et dans son menton levé. Dans sa réserve aussi : elle parle peu, elle s'impose.

     Infusion d'Iris partage cette conception de la présence, il est là, il est toujours là, il ne hausse pas le ton pour se faire entendre, il s'impose à nous en revenant quand il le décide.. Et parce qu'il est insaisissable, on ne peut ignorer ses rappels. 



I. AM. SO. FAB.


     Sobre et classe, une nouvelle idée du chic sans aldéhydes, c'est le parfum du je-ne-dis-rien-je-n'en-pense-pas-moins. Sous une lumière plus positive, on pourrait dire que c'est le parfum des premières bonnes impressions. Je l'ai porté pour visiter des appartements ou pour des entretiens d'embauche, car à mon sens il envoie tous les bons signaux : sobre sans manquer de personnalité, discret mais pas effacé, confortable mais pas décontracté. Bref, vendeur mais pas racoleur.

   

     Infusion d'Iris va aussi bien d'un côté du bureau que de l'autre, et je l'ai donc également retrouvé en Anne Hathaway. Dans la douceur de sa voix, dans son raffinement naturel (qui perce déjà sous les gros pulls informes du début), dans sa bonne volonté. Ainsi que, de manière intéressante, dans l'essence même de son personnage, qui tout au long du film voit son chemin croiser celui de la tentation, malmenant de plus en plus ses valeurs initiales. Car Infusion d'Iris isn't all about clean and chic and stuff. Passé les premières secondes aux accents cologne, le cœur installe son moelleux et sa propreté tout-comme-il-faut. Mais ceux qui le portent le savent, il flirte avec des notes un peu moins sages de peau chauffée au soleil, voir de "fond de baignoire". C'est ce qui fait une bonne partie de son intérêt, le sauve de l'ennui. Le propre et le sale sont des concepts qui n'existent que pour se répondre, et n'auraient aucun sens l'un sans l'autre, après tout.

     Attention, il ne sombrera jamais dans le musc sensuel, mais on sent que l'idée fait son chemin dans sa tête. En fait, Infusion d'Iris c'est un esprit chrétien qui contemple de sales idées et choisis d'y renoncer. C'est juste que la réponse physiologique est fatalement là : la peau chaude, ça se sent. 



     Infusion d'Iris est donc un exemple de vertu - et assurément déjà un classique intemporel - dans un monde qui aime la facilité. Il parait que d'autres iris sur le marché ont été plus faibles ces derniers temps, et ont succombé à la gourmandise ou aux fruits, vendant leur si belle âme au Diable ? Je ne compte pas prier pour celui qui est deuxième du classement des meilleures ventes françaises en 2013, j'imagine qu'il ne voit aucune raison de changer.      

     Je disais donc, c'est ça qui est fascinant avec le parfum, avec l'art en général. On ne sait plus si on doit juger la création ou ceux qui ont le mauvais goût d'en faire un succès.



Sur ce. Bon lundi !