Notre prochaine guest-star de l'été sera donc Dau ! Chanelophile de référence pour les internautes d'auparfum.com, il est sans doute plus connu pour tenir le blog à la recherche, dans lequel il relate comme dans un journal intime ses réflexions quotidiennes sur la mode, les films qu'il a vu, les livres qu'il a lu et bien sûr... les parfums ! Il a gentiment accepté, à notre demande, d'écrire un article sur la relation qu'il entretient avec sa marque préférée. D'autres invités suivront dans les prochains mois pour nous parler de leurs marques fétiche ; mais pour l'heure, en ce 19 août 2011, on se joint tous à Dau pour souhaiter un bon anniversaire à Mademoiselle...
Moi et Chanel - par Dau.
Je sais que ça commence mal et que je devrais écrire Chanel et moi mais Gabrielle avait déjà bien assez tendance à effacer l’autre, à le nier, et sa marque, forte, continue à vampiriser celui qui l’arbore s’il n’y prête garde, alors…
Entre Chanel et moi, tout a mal commencé: je suis né au moment ou elle mourrait. Et pour sa maison, ce fut le temps du deuil, de l’éclipse. L’empire aux deux C entrelacés s’était déjà assoupi car Mademoiselle, vieillissante, l’avait mené à une espèce de perfection classique, toujours belle, mais dont il n’y a rien à dire, ce qui ennuie toujours beaucoup les rédactrices des magazines. Parvenu à un certain stade, le style devient intemporel et donc se répète . Saint Laurent a connu la même situation: maîtrise absolue, vêtement hautement désirable, mais le même tailleur, aussi merveilleux soit-il, photographié d’années en années lasse le lectorat des revue alors qu’il ne quitte pourtant pas la garde-robe élégante. Il en va de même des parfums: les anciennes merveilles s’assoupissent car tout a déjà été dit. Le culte est entretenu par les fidèles mais ne fait plus de nouvelle conversion par manque de visibilité. Et on sait que point de nouvelles conversions entraîne assez facilement une cessation de production pour cause de ventes décevante. D’où la nécessité d’entretenir le mythe, de faire parler de soi. D’où l’utilité de ces « déclinaisons » infâmes qui parfois supplantent le originaux, ou de campagnes de pub parfois racoleuses...
La famille Wertheimer, propriétaire de la maison de la rue Cambon, avait toujours soutenu Gabrielle, malgré de nombreux coup bas de part et d’autres. Disons le de suite: Chanel était une vieille garce assez peu scrupuleuse qui aimait que les choses tournent à sa façon, que tout mérite et que tout bénéfice lui revienne. Le retour a la couture avait été un pari risqué mais combien gagnant qui avait permis de relancer encore un peu les ventes de parfums qui sans cela se seraient peut-être essoufflées. Mon enfance fut pour Chanel une période de deuil, de calme marquée par la sortie de Cristalle et les tailleurs des femmes politiques fidèle à ce qui était devenu un style traditionnel. Ensuite vint Karl Lagerfeld génialement choisi pour relancer Chanel. Prêt-à-porter, couture… La vieille dame assoupie renaissait tel le phénix de ses cendres et régnait à nouveau sur le monde relançant par la même occasion les ventes des parfums qui redevenait tout d’un coup à la page! C’est à ce moment que je les ai découverts…
J’avoue que mon premier parfum n’était pas signé Chanel. Non, à cette époque Dior tenait encore le haut du pavé et j’ai céder au charme de l’Eau Sauvage et beaucoup fantasmé sur Poison qui était l’incontournable du moment. Un peu trop incontournable d’ailleurs. Assez vite je me suis tourné vers Chanel. J’y suis entré par la petite porte; un flacon d’Antaeus: sombre et austère, bien plus à l’époque qu’actuellement me semble t-il, mais peut-être est-ce moi qui étais plus tendre à l’époque?
Bien sûr, il y avait aussi les autres de la famille et pendant que je passais allègrement d’une marque à l’autre, je revenais souvent vers Chanel. Coco était une grande star à l’époque: le plus aristocratique de la bande des épicés-ambrés orientaux mais pas tout à fait. Opium avait ouvert la voie et tous s’y était précipité mais je trouve que Chanel avait fait ça avec beaucoup de subtilité dans un esprit qui n’était pourtant pas le sien… Polge le qualifiait de baroque, rendait hommage à l’appartement de Mademoiselle encombré de paravents… Aujourd’hui, je n’aime plus trop mais à l’époque, j’adorais, cela collait avec les robes « rideau d’opéra » de Lagerfeld. L’esprit était très Guerlain. Enfin, c’est ce que je me dis avec le recul. Chatoiement et paillette, très séduisant, une bonne introduction: plus facile que d’autres. Et puis, j’ai découvert le reste de la gamme petit à petit et m’y suis adonné avec joie et délectation, me frottant à cette antipathie et cette prétention qui semblent la marque de fabrique du patrimoine.
Le N°19 a été mon premier « vrai » Chanel historique. Une gifle de galbanum, un iris austère et soyeux sur un fond plus séduisant que le début ne pourrait le laisser penser qui fait un vrai parfum de ce qui aurait pu être une eau florale fraîche. N°19, tout jeune (oui, tout jeune: mon âge!) ne m’a jamais fait rêver, ne m’a jamais rien évoqué que lui-même. Il est abstrait et m’a toujours semblé extrêmement cérébral et vierge, collant parfaitement avec Gabrielle au moment ou elle y travaillait, redevenue comme Elisabeth Ière, éternellement pure, souveraine absolue n’admettant aucune contradiction, experte dans l’art de la petite phrase sentencieuse qui clôt tout débat d’un ton péremptoire. À partir de là, je me suis livré corps et âme à Chanel, aux historiques, n’aimant que ceux qui me parlait de la créatrice même si j’admets que l’âme est toujours dans les créations actuelle de façon très intelligente…
Il y eu pour Monsieur, eau discrète, élégante, très naturelle dans une ambiance « ébénisterie » fraîche qui surprend. Pourtant, je trouve assez logique que l’homme chez Chanel soit le parent pauvre assez mal servi: Mademoiselle n’admettait pas qu’un homme aie la moindre emprise sur elle en ancienne entretenue au début peu glorieux. De même dans ses histoires à propos du N°5, il lui arrivait de dire qu’elle l’avait composé elle-même en jouant chez un parfumeur avec quelques essences florale, oubliant totalement Ernest Beaux. En y pensant, je me dit que Bleu, petite chose insignifiante, est bien dans cet esprit: l’homme derrière, nié, inexistant…
Les caractéristiques du style Chanel, chacun les verra différentes, selon ce qu’il aime ou déteste La référence à Mademoiselle est incontournable: « quelque chose d’artificiel » parce qu'un parfum « naturel ne peut être qu’une construction de l’esprit! » Oui, il ne me semble renvoyer à rien d’autre qu’eux-mêmes, comme la couturière qui réécrivait son histoire et faisait des vêtements qui lui-ressemblaient en évitant toute référence qui pouvait passer pour une inspiration ou un hommage. Si Chanel se plaçait au centre de son monde, ses parfums semblent faire pareil, déclaration intransigeante d’une affirmation de soi sans concession, doté d’un orgueil infini.
Le N°5 s’impose comme l’archétype absolu évidemment. Comment pourrais-je ne pas l’aimer, ne pas me livrer à lui pieds et poings liés. Incroyablement solaire, il rayonne, rejetant tout dans l’ombre, s’imposant avec une incroyable majesté bourgeoise, à la fois simple et luxueuse. Il sent l’argent et la réussite à plein nez. Il sent le propre aussi, le bien soigné, mais avec par-dessous, tout en fond, quelque chose de sale, un petit quelque chose qui le rend humain finalement, même s’il faut bien chercher. On ne porte pas du Chanel pour se rendre aimable. On porte du Chanel pour être soi, pour avoir raison, pour faire danser le monde sur sa musique. Oui, les parfums Chanel ne sont généralement pas sympathiques, ils sont impressionnants, peuvent faire un peu peur mais une fois qu’on a sauté le pas, quel délice de pouvoir être soi, de s’approprier une odeur qui est unique, qui n’est qu’à soi, que soi. Les classiques de Chanel donnent un sentiment de puissance : ils autorisent tout, sont sans pitié, terriblement modernes.
Poursuivre la lecture : http://entransformations.blogspot.com/2011/08/now-look-no-look.html
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Selon Octavian et Méchant Loup, le 19 Poudré ne serait pas excellent, et loin de ce qu'on pourrait attendre de cette maison culte. C'est dommage.
RépondreSupprimerCher Dau, ce que vous en dites ici est tout de même ravissant. Chanel est une maison puissante. Je reste quand même du côté de chez Cartier en question de parfum, même si je reconnais les monuments des numéros!
Merci beaucoup cher Dau !
Diane
Je vais répondre pour lui puisqu'il m'a déjà donné son avis sur le 19 poudré : il ne l'aime absolument pas... Et, un peu comme tous ceux qui ont aimé/adoré le numéro 19, restera fidèle à la version originelle !
RépondreSupprimerPire, je'envisage carrément l'apostasie. Renoncer à Chanel est plus difficile que renoncer à Guerlain et Dior après la tornade LVMH, mais je l'envisage sérieusement. Le Poudré (on ne devrait même pas dire N°19) est en deçà de tout. Je suis entièrement d'accord avec l'article de 1000 fragrances!
RépondreSupprimerMerci à vous Diane.
Et merci aux deux compères de m'avoir invité!
Cher D.
RépondreSupprimerChanel se meurt, Chanel est morte !
On peut trouver scandaleux qu’une entreprise comme Chanel, synonyme de créativité, de qualité, d’élégance, s’abaisse à la facilité avec des produits comme « Bleu » ou « 19 Poudré », de mauvaises copies du déodorant Axe et de l’Infusion d’Iris de Prada selon Octavian. On peut trouver pathétique que des nez aussi réputés que Sheldrake et Polge y soient associés alors qu’ils arrivent en fin de carrière (comme chant du cygne, quelle tristesse !). Mais on peut aussi se dire que si Chanel parvient avec ça à noyer les marchés chinois et indiens, et à faire entrer plein de devises en France, ma foi, pourquoi pas ?
J’ai une collègue de travail (secrétaire, 38 ans) qui trouve que le 5 sent « la vielle » mais que Bleu sent très bon puisqu’il lui rappelle sa… lessive. Je désespère de pouvoir la convaincre un jour de la « modernité » dont vous parlez et qui n’est peut-être plus accessible aux générations déjà uni-formatées par le mass-market.
Après ça, tout est dit !
J’aime votre article car on y perçoit un peu de cette nostalgie qui avait fait du luxe « à la française » la fierté de toute une industrie mais aussi l’amour d’une marque qui avait porté haut les couleurs de l’excellence. Merci pour elle.
Antonin
"On porte du Chanel pour avoir raison": oui, c'est tout à fait ça.Cristalle a été très important pour moi à l'âge de quatorze ans.Chic, amer et frappé, je l'utilisais comme un compagnon insolent.
RépondreSupprimerAntonin, bonsoir ça faisait longtemps :D !
RépondreSupprimerComme toujours une analyse très poussée de la situation. Dau est dans la même phase de dépression Chanel (cf son dernier article sur A La Recherche). Je ne pense pas qu'il faille abandonner les vieux Chanel. Mais boycotter plutôt ces récents : le poudré, chance je-sais-plus-quoi et bien évidemment Bleu. Mais le grand public n'est pas sensible à ça. C'est bien dommage !
Voter avec son porte-monnaie comme dit Poivre Bleu (présidente !). C'est toujjours ça malheureusement !
J.
Zab : Cristalle à 14 ans : la classe :D !
RépondreSupprimerCa me fait penser que je commet LE blasphème : je n'ai AUCUN Chanel ! (à part un extrait vintage, mais comme je le met jamais... ça compte pas !)
Bisous =)
J.