jeudi 1 septembre 2011

Baiser Volé - Cartier : Particule de Vie

Quand Lisbeth arriva en trombe dans son appartement du 5ème, elle se jeta furieusement sur son canapé en cuir blanc cassé. Ses pieds lui faisaient mal, et sa respiration saccadée lui faisait émettre de drôles de bruits, comme des hoquets de rage.

Elle mit sa tête dans ses mains, et imita la posture de cette actrice qu’elle avait vue au cinéma deux jours auparavant avec Mimiche. Oui, bon, ok, c’était cliché, mais essuyer ses larmes d’une autre manière ne lui serait pas venu à l’esprit. Son maquillage était foutu, c’était sûr. Elle releva la tête, son regard était rouge, et les mèches qui lui parsemaient le front paraissaient sales, folles. Vanité ! Comme si un metteur en scène de pathétiques comédies romantiques avait prémédité la scène, elle se retrouva en face d’un vieux miroir au cadre faussement doré écaillé. Le reflet la montrait, elle, désœuvrée, perdue, abandonnée ; ainsi que sa robe blanche légèrement froufrouteuse – mais pas trop – et son petit voile qu’elle avait piqué à Kate. Elle poussa un cri. Et dans un geste d’ultime désespoir, elle prit le vase en verre posé sur le petit meuble installé face au miroir et le fracassa par terre. Prise au dépourvue, elle me jeta. Violemment. Elle me jeta sans même me regarder. Comme un vulgaire morceau de chiffon à motif pique-nique. Moi. Elle me jeta comme elle avait jeté sa journée. Mon voyage dans les airs dura quelques instants qui – pour continuer dans le film de bas étage – me semblèrent une éternité.
Je vins frapper la fenêtre dans un bruit sourd et étouffé, je me sentis exploser et je me fracassai contre le sol, dans une ultime décharge.

Lys
Je quittai dès lors mon corps. Je me sentis voler, perdre mon attache. Moi, petite particule. En suspension dans l’air, je distinguais ce vieux bouquet abandonné. Un bouquet de lys, qui demeurait ma dernière dépouille. Quelle vie quand même ! Cette impression de mauvais drame revint. Je voyais défiler ma vie. Pathétique. Cependant, quel vécu ! On ne croirait pas comme ça, mais être une petite particule de pistil de lys, c’est quelque chose ! Tu passes ta vie au sein du cocon blanc, protégé, choyé et adoré par tout le monde : ta fleur, les nez, l’air et les petits êtres visiteurs.

Au ralenti, je me voyais m’éloigner de ce lys dont je constituais l’essence. Pauvre de lui. Flottant perdu dans les airs, je me demandais où diantre j’allai bien atterrir. Finalement, je n’étais pas si mal. Invisible dans l’air de la chambre du 5ème, je côtoyais particules d’eau, d’air et de vie. Comme des humais dans un métro parisien aux lueurs du jour, beaucoup ne me regardaient pas. Je les voyais se presser, invisibles aux yeux des autres, pour assurer « leurs fonctions ». Leurs fonctions. Attention, ça ne rigole plus. Mesdemoiselles H2O s’en vont faire exploser la vie. Dans toute leur prétention, elles m’éclaboussèrent légèrement au passage, mais je comptais bien ne pas me laisser piétiner par elles ! C’est alors que j’accrochai le regard des autres petites molécules. Les molécules vertes. Celles là étaient d’un charme et d’une politesse à faire rougir plus d’un Dom Juan en pamoison. On se regardait ensemble, on se prenait dans la main, le temps d’une petite ronde.

Cependant, la pesanteur me ramena à la dure réalité. Je n’étais pas faite pour rester à flirter avec l’air et ses molécules légères. Non, moi petit pistil en liberté, je devais retomber et toucher à nouveau ce sol qui m’avait fait naitre. Je me sentais dégringoler. Je craignais le pire pour la chute. Cependant mes craintes furent vite oubliées : je me retrouvais dans un petit duvet, une sorte de matelas informe et doux. C’est étrange. On dirait… un gros pinceau. Un… Mais oui ! Un pinceau à poudre de maquillage ! Quelle chance ! Me voilà lové dans du maquillage aux accents délicieusement rétro. Echarpes à plumes, maquillage contrasté et robes de soirées éclairées par les flash explosifs, la belle vie pour une particule de lys c’est ça.
Je commençais à m’installer dans ce que je croyais être ma future délicate routine, espérant presque rejoindre mes ancêtres des années folles, quand mon petit monde fut bouleversé. C’est que Lisbeth en avait fini de s’apitoyer sur elle-même et son mariage catastrophique. Dans une vague de précipitation et de fureur froide, elle se leva d’un bond presque altier. Elle arracha son voile ridicule ainsi que ses rêves de petite fille : Lisbeth prit son sac à main et y fourra papiers et maquillage. Bien évidemment, je fus embarquée.

J’entendais ses pas lourds et précis amortis par la fausse moquette de l’étage, et je ressentis une véritable décharge lorsqu’elle enfonça le bouton de l’ascenseur avec une vigueur jamais vue.
Une minute et quarante seconde plus tard, elle martelait de ses talons le bitume de sa rue. Il était sur le trottoir d’en face et il l’attendait. Je ne le voyais pas distinctement. Une chose était sûre : cet homme souriait. Lisbeth retroussa un carré de soie sur sa tête et lança un ultime et discret regard d’appréhension en arrière, comme pour vérifier quelque chose…

Elle s’approcha de l’homme que je n’arrivais pas à distinguer. Ils étaient complices, et venaient de m’en fournir la preuve : ils venaient de s’échanger un baiser. Un simple baiser volé.
J.

12 commentaires:

  1. Je sens que je vais craquer...

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  2. Diane : oh oui ! Si tu as aimé le travail de Mathile Laurent avec les heures, tu vas ADORER ! (Lundi aux galeries chez Josiane ! Dis que tu viens de ma part, tu repartiras surmeent avec un échantillon ;) ). Bises

    Hangten : j'avoue que le secret de ton message m'échappe ^^

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  3. Je pense que c'est une flatteuse (mais pas si injustifiée) comparaison...

    http://www.poesie.net/rimbaube.htm

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  4. Voillllla !!! Merci ! Je me disais bien...
    En tout cas, oui, c'est SUPER flatteurs ! Je rougis ^^

    Merci :)

    (je tiens à applaudir le travail de Mathilde Laurent et de Cartier quand même !)

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  5. Pour revenir sur mon message a priori sibyllin, je trouvais que ton texte me rappelait le poème de Rimbaud "Aube" et ce rêve un peu fantastique, d'où l'extrait que je citais de mémoire!
    Bizarre les associations d'idées quand même...
    Tout le monde devrait relire Rimbaud!

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  6. Riiiiiimbaud <3 !!!!! (bon, ce mec est mort à 18 ans on va dire, mais bon, <3 !!!)

    Merci ^^ J'avoue être hyper flatté (demain au lycée : "nan mais voila quoi, j'ai été comparé à Rimbaud qouaaa").

    Ok, j'arrête mon délire :p
    Merci :)
    J.

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  7. J'opte pour le futur grand classique !
    V.

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  8. Jicky,
    Ton texte est superbement inspiré... Relisez-le, Jicky m'a confirmé qu'il y avait foultitude de possibilités d'interprétation(s) ! Rimbaud comme souffle, sans le savoir même, beau choix ! Et, compliments mérités.

    Comme V.(ivi), j'opte avec ce texte presque classieux pour dire que Baiser Volé mérite de devenir un classique !

    A bientôt,
    Opium

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  9. Opium-Tom ! Merciii !!!
    Ouais, j'avoue pour Rimbaud je suis flatté ^^ merci :p

    Comme vous deux, je vote aussi pour le futur classique (ou au moins qu'il devienne un succès quoi !)

    A bientôt ;)
    J

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  10. Chers Jicky et Phoebus, c'était évident : j'ai littéralement craqué sur ce lys doux, poudré et totalement étiré.

    J'ai été voir Josiane aux Galeries Lafayette cette semaine, et je suis repartie avec mon flacon. Je le porte depuis (en alternance avec L'Heure Brillante, étant donné ce regain de beau temps !), et c'est un bonheur !

    Merci encore à vous deux, et j'ai hâte de vous lire encore et encore.

    Diane

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  11. Ton avis était prémonitoire donc : tu as craqué ^^

    Je suis moi aussi sous le charme <3

    A bientôt t'iqnuiètes =)
    J

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