dimanche 5 septembre 2010

La nouvelle génération parfumée : entretien



Plusieurs fois par ans, j'endosse le rôle de conseiller-d'orientation-psychologue dans le lycée de la rue d'en face. Je n'en dit pas plus, je sens que vous éprouvez déjà de la compassion pour moi, et vous avez raison : travailler avec des jeunes est quelque chose de, certes, intéressant, mais surtout fatiguant, compliqué, et peu rassurant. Peu rassurant parce que je m'entretient avec ces élèves de terminale qui seront majeurs à la fin de l'année, pourront voter, conduire des voitures et boire de l'alcool. En bref, l'avenir de la société. Et chaque année le niveau diminue sensiblement, c'est incompréhensible. J'appréhende toujours la nouvelle promotion.

La professeur de philo me fit donc entrer, et me voila, boule au ventre, devant une petite vingtaine d'ado bourgeonnant affalés sur leurs chaises, endormis sur leurs tables ou tout simplement dos à moi et en pleine discussion avec leurs voisins de derrière. C'était notamment le cas d'une certaine Amor Amor, que ma collègue réprimanda aussitôt sur un ton qui trahissait l'habitude. La jeune fille se retourna en levant les yeux au ciel de façon insolente, puis arracha sans chercher à être discrète une feuille de son cahier. Elle y écrivit le reste de son histoire (sans doute passionnante, je n'en doute pas) avant de faire passer la feuille à son amie Ricci Ricci.

La professeur de philo, Madame Opium, se précipita jusqu'à Ricci Ricci, s'empara de la feuille et la déchira consciencieusement. Elle pointa le doigt vers la porte en s'adressant à AmorAmor.

-Très bien, jeune fille, puisque c'est comme ça vous passerez la première !
-Je suis la première dans la liste alphabétique, de toute façon.

Et elle se leva (en même temps que les têtes de la plupart des garçons), pour sortir de la salle sous les rires de ses amis. Alors qu'elle venait vers moi, elle pointait madame Opium du pouce en faisant semblant de fumer un joint imaginaire entre les deux doigts de son autre main. Madame Opium ressera son châle brun autour de ses épaules en bougonnant.

Il était passablement énervant de parcourir le dossier de la jeune fille en subissant toutes les dix secondes le claquement de ses bulles de chewing-gum. Pourtant, j'étais agréablement surpris de découvrir que ses notes étaient bonnes dans toutes les matières (moins en philo, évidemment). C'était dans la colonne suivante, les appréciations, que le bât blessait. Insolence, bavardages, impolitesse, absences injustifiée. Je baissai le dossier que je tenais devant moi et contemplai son joli visage. Elle avait tout de la petite garce ultra-énervante. Beaucoup de chance, beaucoup de facilités, beaucoup de potentiel. Et surtout beaucoup d'orgueil. Et elle gâchait tout. J'ai faillit tomber de ma chaise quand elle m'a annoncé le plus sérieusement du monde qu'elle voulait se lancer dans le milieu de la chanson.
-Tu en es certaine ? Tu n'as pas d'...
-J'en suis certaine, je veux être chanteuse.
-Bon...Tu verras ça avec tes parents, j'imagine.
Ah, le sens des réalités...

L'élève suivant était pire, cependant.
-Tu t'appelles ?
-Pour lui. Black XS pour lui.
Un petit maigre qui voulait jouer les gros durs. Je lui fit enlever son blouson en cuir trop grand pour lui avant de l'inviter à s'assoir.
-Très bien, et donc tu aurais des questions concernant ton orientation ? Je suis là pour y répondre.
-Je..Oui j'y ai déjà pas mal réfléchit. Par où commencer...Et bien en fait je me demande depuis quelques temps si je ne serais pas attiré sexuellement par mon meilleur pote. Est ce que c'est normal ?
-Ce..Pardon ? Oui c'est...enfin non, ce n'est pas..Enfin. Je ne suis pas là pour parler de ce genre d'orientation, Black XS !

Il y en avait quand même pour rattraper le niveau, heureusement.
Je fus d'abord surpris de voir deux jeunes gens se lever lorsque Madame Opium appela le nom de Chloé. Une jeune fille au premier rang, habillée en blanc, était précédée par un asiatique aux traits fins. J'appris par la suite que le jeune homme s'appelait A Scent, et qu'il était le correspondant Japonais de Chloé. Il était presque billingue, ce qui était plutôt impressionnant. Mais sa correspondante n'était pas en reste. Elle  avait des notes excellentes et était du genre à avoir un dossier remplit d'appréciations positives. "Elève sérieuse et appliquée" était la litanie qui revenait dans son dossier de la maternelle jusqu'à la terminale.
-Je veux aller en fac de droit. J'aimerais passer ma troisième année à Hiroshima, afin de compléter mon programme de correspondance avec A Scent. Je ne sais pas encore exactement ce que je veux faire après la fac, mais qui peut le savoir à mon âge ? Je me laisserai le temps.
Elle avait tout bon. Je ne pouvais que l'encourager.

Un cas un peu plus délicat est venu ensuite. Lolita Lempicka au Masculin n'a pas entendu Madame Opium lorsque celle ci l'a appelé. Cette dernière a découvert, scandalisée, qu'il n'entendait rien à cause de ses écouteurs mis à fond ( elle a faillit en perdre son long châle brun ! ). Ma collègue ne l'a sans doute pas remarqué, mais je l'ai vu dissimuler quelque chose sous son T-shirt ample avant de quitter sa place (dernier rang, près de la fenêtre)  pour me rejoindre.
Il était silencieux, en face de moi, pendant que j'examinais son dossier. Des notes plutôt basses...
-Tu sais, tu peux enlever ce que tu cache sous ton T-shirt, je ne dirai rien à Madame Opium, le rassurais-je en tournant négligement une feuille de son dernier bulletin (catastrophique).
Je baissai ensuite les yeux sur ce qu'il m'avait caché, et était maintenant étalé sur son côté de la table : des dessins, aux crayons de couleur certes, mais rien à voir avec des croquis de lycéens griffonnés dans les marges d'un cour d'histoire. Des couleurs éclatantes s'entremêlaient de façon  fluide, moderne, abstraite. Sans m'en rendre compte je m'étais déjà emparé du dessin le plus proche et me perdait dans sa contemplation. Lolita Lempicka au masculin fronça ses yeux violets et me demanda de ne mettre les doigts que sur les bords pour ne pas faire de tâche.
Et dire que j'ai failit lui conseiller de se faire engager comme apprenti par un pâtissier...Il y a du talent dans ce jeune homme. Il pourrait suivre une voie originale. Le concourt pour les écoles d'Art appliqués me semble tout indiqué.
-Fais voir celui là, au bout, je ne l'ai pas bien vu...

Je ne me sens pas la force de raconter les entretients suivant tant ils se ressemblaient tous. J'étais au bord de la crise de nerfs après avoir conseillé Scarlett, Aqua Di Gioia, Escada et Miss Dior Chérie. Non, elles ne pourront jamais obtenir leur baccalaureat Parfum cette année. Non, redoubler ne servirait à rien mes chéries, ça ne sert à rien de pleurer. Je les ai redirigés vers un BTS Shampooing, plus dans leurs cordes, vu leurs notes. Il y a eu pas mal d'autres redirections chez les jeunes hommes aussi, en particulier Boss Pure, Light Blue et l'Homme Yves-Saint Laurent, mais pour eux j'ai plutôt proposé un BEP Déodorant ou alors un Bac Pro Lessive. Au choix.

 Ah et j'oubliais.
Je me suis entretenu avec One Million, le beau gosse - beau parleur que chaque classe est obligée de se trainer, c'est statistique. Il n'a qu'une seule idée en tête : flamber, draguer, et gagner de l'argent.
-Gagner de l'argent. très bien, c'est une piste pour ton orientation, tu as de l'ambition. Que pense tu d'une école de commerce ?
Je disais cela en songeant à une élève à laquelle j'avais eu affaire il y a quelques années. Angel. Si elle a réussit, avec le même profil, pourquoi pas après tout ?
Il m'a parlé de casinos. De Las Vegas, baby. Rien que ça.
Je n'aime pas condamner les gens aussi tôt, mais là pas l'ombre d'un doute. Il finira dans un casino...Caféteria.


Alors, que penser de ces futurs nouveaux bacheliers ? Je me posais la question en rentrant chez moi en voiture. Je ne pouvais pas me sortir de la tête les dessins de Lolita Lempicka, le beau sourire de Chloé, et même le joli minoi d'Amor Amor. Et dire que j'étais partis défaitiste. Evidemment il y aura toujours son lot de déception, dans la mesure où les classes sont de plus en plus surchargées. Les jeunes sont victimes de la mode. Ils se copient tous (sacs Eastpack, jeans Carhartt et Vans semblait être leur uniforme officieux). Et pourtant le talent est là, évident, spontané, il se démarque, il suffit de le cueillir. Pour ma part j'ai été agréablement surpris.
On devrait faire plus confiance aux jeunes.

Et quant à Dr Jicky... c'est vrai que mes relations avec ces "jeunes" sont parfois houleuses.

Là où les bouclettes de la gentille petite Chloé me gonflent littéralement, je préfère parler culture avec Idylle, qui sous ses airs  de jeune fille en fleur, développe un propos construit cohérent et en l'honneur de ses aînés ayant déjà fait leurs preuves (Dame Guerlinade ou Melle For Her).

D'ailleurs, on a eu un aperçu de la rentrée 2010.

La classe m'a vraiment l'air très hétérogène. Entre une Womanity futur femme fatale et au caractère aussi trempé que l'acier de ses yeux, je suis persuadé qu'elle a de l'avenir, à condition de revoir un peu quand même sa prétention sociale et intellectuelle.
Bleu quant à lui est le mal aimé. Issu d'une très grande famille, il est palichon. Lisse, sans caractère. Effacé. A vrai dire, il a une place ambigue dans la classe : son rang d'aristocrate le place haut, mais ses qualités l'orientent vers une fac de supermarché...

Belle D'Opium croit tout séduire avec ses immenses yeux bleus. Tu parles, pour essayer de te convaincre elle te susurre des paroles mieilleuses, sous le regard dédaigneux de Mme Opium. Elle sera vite oubliée car son temps sera vite révolue. En tout cas, l'accro au portable qu'elle fait lui bloque la vue, et un poteau pourra très vite se dresser entre elle,et son petit flacon de chemin.

En revanche, j'ai une plutôt bonne impression de la petite soeur de Chloé : Love. Sous ses habits rétro et son sourire conventionnel, il y a de petites attention qui me séduisent, au bon sens du terme...

Une classe qui a une très bonne tête mais un fond des classes retardant la machine.

On vous en dira plus la prochaine fois !

(Edit-Phoebus, après relecture des bulletins) : Effectivement, c'est vrai que Belle d'Opium croit un tantinet que tout lui sera servit sur un plateau d'argent, simplement parce qu'elle est la fille de Mme Opium...Un peu comme Bleu, qui pense pouvoir se reposer sur les lauriers de ses aïeuls en étant consensuel...Il leur manque un grand sens des réalités, en Parfumerie le nom ne fait pas tout !

9 commentaires:

  1. vraiment excellent, un petit billet satirique, drôle mais tellement vrai !
    continuez comme ça !

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  2. Et Parisienne? Elle redouble ...? Elle avait quelque chose d'autain, cette jeune fille...

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  3. Très drôle cette classe parfumée :)
    J'ai adoré le < BTS SHAMPOOING> !!!!!

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  4. Parisienne a même triplé sa classe à force de se mettre du vernis, elle n'a pas vu passer son heure. Dommage, elle s'est retrouvé en rattrapage dissolvant...

    Le BTS Shampooing est peut être drôle sur le coup, mais en tant que conseiller d'orientation, tu déprimes vite --'

    Bonne révisions olfactives à vous tous et merci =)

    Vive l'odorat !

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  5. C'était amusant de jouer sur l'ambiguïté du mot "notes"...Les notes en classes comme reflet des notes d'un parfum !

    Et Julita, content que le BTS shampooing vous plaise ! J'en suis très fier ^^ (à la base c'était CAP shampooing, mais c'était trop proche de CAP coiffure et vu l'opinion qu'on a des parfums "shampooing", ça aurait pu paraitre "un peu" insultant pour les jeunes filles de cette filière qui aurait pu lire l'article...Ou alors c'est moi qui me complique la vie pour rien ! lol).

    Il y aura pas mal d'articles dans ce goût là car ça permet de brasser une grande quantité de parfums en un seul article (au dela de l'aspect pratique, ça permet de parler de choses un peu plus larges qui touchent la parfumerie actuelle...).

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  6. bravo mes petits, mais alors, Belle d'Opium n'est même pas la niece pistonnée de la prof de philo ??
    moi j'aime beaucoup le bep déo et le bac pro lessive...
    ce texte me rappelle un peu un billet de Poivre Bleu un peu dans le même ton (mais je n'ai jamais dit que vous aviez copié, hein !)

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  7. Le cas de Belle D'Opium fait diverger bien des avis... Je pense pas que mme opium l'ai vraiment pistonnée, car on lui a imposée ! Pensez-vous que the mme Opium aurait choisi pour heritière directe une fleur blanche mielleuse, plate et sans charisme ?

    Je ne connais pas cet artice sur Poivre beu ! Si quelqu'u_n a un lien...

    Merci encore Jeanne =)

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  8. Bienvenue Mesqualine ! Merci !!! (c'est Phoebus qui l'a écrit celui là !)... Bonne découverte du monde parfumé :D !

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