mercredi 29 février 2012

M / Mink - Byredo : Toujours la même

Toujours la même. La même ligne. Toujours la même ligne que nous suivons tous. Peu importe comment chacun d'entre nous la perçoit, ce qui importe c'est d'être conscient que, toujours nous déambulons, gris, sur cette tristesse étrange, montant comme la mer sur le roc noir et nu.

Toujours la même ligne, que l'on perd de vue lorsqu'elle s'enfonce dans les méandres des tréfonds marins, noirs et hostiles. Que l'on retrouve et face à laquelle il est de coutume de désespérer lorsque, en pic Cruel, elle s'élève à l'infini, cîme majestueuse couronnée de neige argentée mais aux côtés nus et abrupts.

A. Lee

Toujours la même perspective, conduisant dans une même direction à un point ultime. 
Ce sont ces liens discordants pourtant, tous d'une Beauté classique convulsive, que nous entrevoyons ici.

D'un côté le blanc, la lumière de toutes les couleurs, la brume de toutes les odeurs et l'oncteux de tous les goûts. Tout blanc, il est une douleur très simple, une joie éclatante pour tous.
Au coude à coude, luit le noir fuligineux, l'union de toutes les couleurs, la nuit de toutes les odeurs et le rugueux de tous les goûts.

Il en est de même pour cette mer et cette montagne, toutes deux traversées. Toujours la même mer, noire et lisse, se faisant un sang d'encre pour son avenir. Dans sa lutte contre la linéarité, la voilà en train de gravir les pics, avec une brutalité insoupçonnée. Dans son ascension d'une intensité métallique, la voilà en train de ravir au Cruel ses rocs propres et blancs, et ses pierres noires et friables.

Toujours le même point d'orgue dans le temps. Où l'équilibre entre les pierres, base de l'édifice naturel, cède sous la pression de la plaine saline. En cet instant, les couleurs sont indiscernables.
"Taisez-vous !" semble crier la montagne fière, dans un vague souci de résistance.

Mais qu'importe, la ligne du pic s'affaisse sous la déferlante de la mer. La ligne si haute, finit par plier sous les coups. Toujours la même lenteur, c'est un secret connu de tous, où les secondes défilent, au compte-goutte.

Au sein de la mer pleine de vie, des questions émergent : en brisant l'équilibre ascendant de la montagne, la ligne s'est abaissée, et non élevée. Plus jamais nous retrouverons les Morts aux pieds de la montagne. Toujours la même mer, qui en voulant échapper à la peur perpétuelle de sa propre fin, voit son sourire enfantin noyé face à cette ligne qui s'abaisse. Subsiste alors un malheur vague, montant comme la mer sur le roc noir et nu. Toujours.

Le temps s'en est allé. Aujourd'hui, cette ligne demeure, impériale et impalpable dans ce paysage plat. Ces liens qui autrefois reliaient cette mer à cette montagne et conféraient à la Beauté son classicisme convulsif,  ont disparu. La Vie de la mer et la Mort de la montagne ne forment plus qu'un tout, dérangeant.

Par moment, vos beaux yeux croient surprendre quelques sursauts, à la vision du paysage.
Il semblerait que, plus encore que la Vie, la Mort nous tienne souvent par des liens subtils.

Bocklin, L'Île des Morts, 1896
J.

9 commentaires:

  1. L'ascension n'aura pas été des plus simples, et le plongeon final n'est pas si limpide. En attendant, c'est toujours aussi olfactivement saisissant !

    Ravie de vous lire de nouveau
    V.

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    1. Votre message montre que vous avez compris quand même !
      Et si, effectivement l'article n'est pas des plus simples, le parfum ne l'est pas non plus ;)

      Et nous donc, c'est toujours un plaisir de vous compter parmi nos lecteurs !
      A bientôt,
      Jicky

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  2. Bonsoir,

    C'est merveilleusement écrit, j'avais cru lire Byron mais n'est-on pas dans le Romantisme et le Symbolisme aussi ? Je ne connais pas du tout le parfum évoqué avec autant de poésie mais je me dis tant pis car quel beau texte !

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    1. Point de Lord Byron, et j'avoue être flatté. En revanche, une belle inspiration Baudelairienne, comme souvent, et puis bien sûr des allusions, pleins d'allusions, qui en étonneraient plus d'un si elles étaient révélées ;)

      Et beaucoup de petites touches personnelles...

      Quant au parfum, ce qui est drôle,c'est que, lui aussi divise : il faut essayer de le comprendre, et passer outre son incompréhension ou son rejet initial. Un petit bijou expérimental à découvrir au plus vite ! Vraiment !

      J.

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  3. Bonsoir,

    Byron ou Baudelaire c'est le même sang, celui des poètes. Si l'un a donné sa vie pour la liberté, l'autre aussi. Seul un poète entrevoit le monde, c'est ce qui fait sa force. Quant aux allusions et aux petites touches personnelles je n'insisterai pas... Les plus beaux secrets sont ceux qui sont bien gardés ! Le parfum lui même ? Je ne sais pas si le découvrirai un jour, j'espère ! " Un petit bijou expérimental ", de plus en plus mystérieux.
    Bonne soirée.

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    1. C'est joliment dit. Et tout aussi vrai ! Mais je n'ai pas envie de sombrer dans de marécageux clichés sur la poésie. Le mieux reste donc de la lire. Et pourquoi pas de la retranscrire...

      Quant aux touches personnelles, elles ne le sont pas tant que ça. Elles se découvrent ;)

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  4. Bonsoir,

    Oui mieux vaut lire la poésie, mais le domaine est vaste ! Les Editions Aden, coll. " Le Cercle des Poètes Disparus " proposent de bien jolis ouvrages sur les poètes, j'ai un peu ( beaucoup ) abandonné la lecture des poèmes ces dernières années, enfin bref je lis surtout les biographies des poètes qui regorgent d'anecdotes souvent très émouvantes. Quand Shelley fut incinéré sur une plage en Italie, son coeur ne brûla pas... Qui croire, ceux qui défendent son épouse - à juste titre - ? Quand même, dire que Shelley n'avait pas de coeur là ça me navre ! Ou bien ceux qui à l'inverse pensaient que ce coeur là était éternel ?
    En attendant, ja vais décrypter ( enfin essayer ) votre beau texte, parsemé effectivement de touches poétiques qui montrent ou démontrent mes lacunes en la matière !
    Bonne soirée.

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    1. Je ne connais pas du tout Shelley. J'ai même jamais lu Frankestein... Cela dit, en elle même (je ne parle pas en tant que valeurs littéraires), sa vie est vraiment passionnante. Je suis sûr qu'au même titre que Colette ou Sand, il y aurait matière à parfum...

      J.

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  5. Bonsoir,

    Shelley oh oui même si j'ignore s'il aimait le parfum. Très proche de la nature, végétarien et rêveur, adorable sur les portraits. Mary Shelley lui a survécu des années et son roman a été créé dans une atmosphère propice à l'étrange. Je pense que son ami Byron se parfumait, mais je n'en suis pas certaine. Lui qui regretta douloureusement son Terre-Neuve et qui vécut une existence si passionnée... Quant à John Keats qui ne fréquenta ni l'un ni l'autre, là encore je ne sais pas mais il fut si vite emporté par la tuberculose que la question ne se pose peut être pas. En tout cas un parfum dédié aux poètes anglais j'aimerais bien. Il y a un parfum nommé Ophélie, alors pourquoi pas " Ode au Vent d'Ouest " écrit par Shelley ?
    Oui Colette c'est vrai, Sand là... Chopin oui mais elle honnêtement euh ? Baudelaire l'a traînée dans la boue, allant - et je cite - jusqu'à la traiter de " latrine ", avait-il complètement tort ? Pas complètement ça non, mais il devait avoir ses raisons tout de même. Chopin, lui, malgré les assauts de cette femme très moderne avant l'heure, s'est éteint paraît-il calmement place Vendôme, au numéro 12 précisément, sa dernière demeure. Chaumet a ouvert ses portes à l'étage, je ne sais pas s'il s'agit de joyaux ou de Chopin ?
    La poésie et les parfums se rejoignent souvent, la musique aussi, tout se correspond comme le disait Baudelaire dans son magnifique poème et la Nature nous le rappelle souvent.
    Sur ce bonne nuit et à bientôt enfin si vous le voulez !

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