jeudi 21 juillet 2011

La Treizième Heure : L'Heure du Crime (une nouvelle proposée par un internaute)

Cher(ère) internaute perfumista,

Vous aurez pu constater qu'avec Jicky, nous essayons de publier un article tous les jeudi soir. Je ne vous cache pas que c'est parfois dur de maintenir le rythme, surtout pendant les vacances d'été... Oh, certes, les pluies diluviennes qui s'abattent avec acharnement contre nos fenêtres depuis quelques jours sont un contexte idéal pour écrire. Mais je suis en réalité bien trop occupé à construire une arche pour me sauver moi et mon couple de hamster lorsque le septième jour de déluge inondera la Terre, alors....- si Dieu vous demande c'est pas moi qui ai vendu la mèche !
Pour cette raison, nous avons demandé à quelques amis de nous aider en écrivant pour l'été un article sur le blog. Le 19 août commencera une série d'articles sur le thème "Vis ma vie de..." où un Guerlinolâtre, un Chanelophile, une Lutensorcelée et bien d'autres viendront défendre leur maison préférée tout en posant un regard critique sur son évolution.
Mais pour l'heure, vous vous apprêtez à lire un article signé Patrice, que l'on peut classer dans la catégorie "littérature perfumista" : il s'agit d'une nouvelle qu'il nous a spontanément proposée, une enquête policière au centre de laquelle se trouve l'énigmatique Treizième Heure de Cartier...

Bonne lecture !


 [Texte écrit par Patrice, fidèle visiteur]
 

La conversation avec Jessi terminée, je raccroche le téléphone et m'étends sur le lit.
"Décidément, je n'arriverai pas à tester tranquillement ce nouvel échantillon de parfum que Mathilde m'a envoyé" me dis-je en refermant précautionneusement le petit décan posé sur ma table de chevet et en le reposant dans son écrin de carton gaufré rouge. Elle sait que j'aime la haute parfumerie et que mon nez est pas mal exercé à force des nombreuses escapades parfumées dans la capitale en sa compagnie. C'est pour ça qu'en tant que parfumeuse, elle me réquisitionne comme sa "phase de test number one". Un honneur quand on sait pour quelle maison elle travaille !

Bref, il est temps d'y aller, le message était clair:

"Le corps d'une femme, la cinquantaine, de type caucasien, vient d'être retrouvé dans une villa de la banlieue de Paris. La victime se serait suicidée, on a retrouvé des traces d'aconitine et d'atropine sur ses vêtements. Des poisons violents. Autant dire qu'elle ne se laissait aucune chance. Je vous attends au plus vite au N°13 de la rue des Horlogers."

Étrange que l'on m'appelle pour un suicide ! Surtout que je suis déjà sur cette affaire d'assassinat de bijoutiers. Mais si on m'a appelé, c'est que ça doit être intéressant pour moi.
Je prends ma vieille veste en tweed, encore imprégnée de mon Shalimar, et dévale les trois étages pour sauter dans ma voiture de service. Direction le 13 rue des Horlogers. La nuit va être longue !

Voilà une demi-heure que je roule dans la nuit noire et relativement froide pour un mois d'octobre. La pluie se met à tomber par seaux entiers quand j'arrive devant le grand portail de fer ; même si ma veste est pas toute jeune, je vais quand même pas me risquer à courir sous cette flotte. "C'est encore un coup à chopper la mort" comme dirait ma grand mère! Tiens, voilà la porte qui s'ouvre. Une silhouette fine et élancée d'une brune féline se faufile par l'entrebâillement. C'est Jessi qui me fait signe de venir. Je montre mon badge aux policiers et passe sous les bandes de protection. Le tout le plus vite possible en essayant de passer entre les goutes !
A peine arrivé sur le pas de la porte, je lui lance : "Alors, ce corps où est-il ?"
La pluie battante qui s'acharne sur le haut-vent  masque presque tous mes mots. Je lui répète une nouvelle fois ma question.
"- Dans le salon, me répondit-elle, son nom est Stéphanie Sharks, c'est la propriétaire de la villa. La zone a été sécurisée et comme à votre habitude, j'ai demandé aux équipes de la Scientifique de débarrasser le plancher le temps que vous fassiez votre petit manège.
- Je vous remercie Jessi"

"Cette assistante est vraiment une perle. Il y a juste, peut être, cet horrible parfum qui s'échappe de son décolleté qui serait à changer. Ça fait bien trop fifille lycéenne" pensai-je. Un fruité gourmand caramélisé comme il y en a tant, alors qu'une telle femme fatale mériterait la plus belle des roses, épicée et vénéneuse !

Après avoir passé la porte d'entrée, l'incroyable silence qui règne dans l'habitation et les lumières tamisées contraste étrangement avec le vacarme des goutes et les flashs des gyrophares au dehors. Mes oreilles bourdonnent désagréablement. "Sharks... Sharks..." mais pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt, quel étourdi je fais, voilà pourquoi on m'a appelé pour cette affaire ! Robert Sharks, telle est l'identité de mon dernier bijoutier assassiné. Ça ne court pas les rues par ici un nom à consonance anglaise. Cette Stéphanie pourrait donc être sa femme !

Dès les premiers mètres, et comme à mon habitude, mon nez prend le dessus. Voilà une odeur bien singulière pour ce petit hall coquet, une odeur que je pourrais reconnaitre entre mille : celle du papier brûlé et refroidi, de la cendre fraîche. Comme celle de la lettre d'amour d'une jeune fille déchue qui se consume à la flamme des bougies du cœur. Ou comme celle de la feuille de papier vierge que l'on approche du feu pour la faire roussir et lui donner de faux airs de parchemin.

"Le salon. Il faut que j'aille au salon."
Je me dirige vers la seule porte sur les quatre qui laisse entrevoir de la lumière. Je pousse la porte et continue d'avancer dans le silence macabre qu'ont toutes les scènes de crime. Rien ne bouge, ma progression ne semble rien perturber ici. Même pas cette femme allongée là sur le divan, habillée d'une robe de soirée noire et d'un pardessus au col de fourrure. Le grand canapé de cuir noir exalte des relents à l'odeur typique, chaude et animale, légèrement fumée. Le tout se mêlant à l'odeur du papier brûlé encore plus intense dans cette pièce.

D'ailleurs d'où vient-elle cette odeur ? La cheminée semble éteinte depuis bien longtemps. Rapide coup d'œil analytique de la pièce à la recherche de LA réponse, et il s'avère qu'en fait cette odeur provient de ce petit tas de cendres noires à droite du canapé. Je me penche pour saisir le seul morceau de papier encore intact, un angle de page grignoté par les flammes qui laissait entrevoir le logo de la bijouterie Sharks. "Une destruction de preuves avant de s'en aller rejoindre son mari ? Une lettre compromettante réduite au silence ?" se demande mon esprit. Étrange, car d'habitude la personne laisse une lettre au lieu de la détruire, ou si elle a des papiers à détruire, elle s'arrange pour que rien ne se voit. De son côté, mon nez continuait son petit bonhomme de chemin. Je reposai le morceau de papier consumé et portai mes doigts imprégnés de relents de brûlé à mon nez quand soudain, une autre odeur vint se joindre au reste. Non pas le cuir du divan, une odeur plus ronde et plus douce qui flottait dans l'air ambiant au-dessus de la victime. "Serait-ce Shalimar, ce parfum que je connais si bien ? En tous cas c'est une vanille!" Je regarde autour de moi. Mon regard s'attarde sur la table basse d'où provient une odeur âcre et amère de thé noir froid. J'avais senti cette tasse à moitié pleine renversée avant même de l'avoir vue. Mon nez me surprendra toujours ! Il y avait même encore le sachet qui infusait. Autant dire que l'eau n'était plus qu'un concentré de théine ! C'est pour ça que même froid il sent encore autant.
"C'est donc dans ce thé que la victime a versé son poison" dis-je à haute voie en me commentant la scène personnellement. Le suicide est effectivement flagrant : une femme remplie de chagrin se donne la mort après le meurtre de son mari dans un hold-up. Pourtant ma raison ne veut pas y croire. Quelque chose cloche. Je le sais inconsciemment mais il faut que je trouve ce qui ne va pas. En plus, le brûlé, le cuir, le thé, la vanille, rien n'est très rassurant olfactivement parlant.

Je réfléchis en regardant par la fenêtre, appuyé contre le rideau de velours pourpre. Dehors tout semble bien froid et livide. Un souffle glacial me parcourt le visage, provenant imperceptiblement du simple vitrage de la fenêtre. De temps à autre il se perd dans le bouquet de fleurs sèches posé à côté sur le guéridon, et revient en transportant un fumet anisé et âcre de végétation passée.
Toutes ces senteurs qui tourbillonnent, se mélangent, s'éclipsent ou ressurgissent, m'empêchent de voir l'évidence. Je m'attarde trop sur elles. Et pourtant il semble que ce soient elles qui m'agrippent par le col de ma vieille veste et me mènent par le bout du nez. Peut-être me mèneront-elles à la solution.
Froid et chaud, épices froides, froideur tiède...
Je ris intérieurement de cette idée si absurde. Ce serait si simple!
Papier brûlé, vanille fumée, réglisse glacée...
Tout s'accélère je le sens ! Ça va venir, c'est sûr, comme lorsque l'on sent un éternuement arriver et que l'on fait des gestes bizarres en se tortillant le nez et en montant la tête le plus haut possible.
Encore une fois : fumée, thé froid, vanille, cuir, thé noir, réglisse, vent froid, papier brûlé, thé noir, anis, thé, thé... tasse de thé! TASSE DE THE! Ça y est, j'ai trouvé !
Sur la table, la flaque de thé répandue par la tasse renversée laisse presque imperceptiblement dans un coin une forme en croissant de lune impeccablement vide de liquide.

Une deuxième tasse ! Une deuxième tasse qui était là quand la première s'est renversée et qui a été ensuite enlevée. Il y avait forcément une deuxième personne à ce moment là. Cette personne a ensuite enlevé sa tasse une fois que la victime est morte et a, par inadvertance ou dans un dernier geste de suffocation, renversé son thé. Ce pourrait donc être un meurtre et non un suicide !
Mais comment ai-je pu passer à côté de cette évidence ? La main sur le front les yeux fermés je ne m'en prends qu'à moi. Quelle erreur de débutant. "Mais arrête de te laisser porter par ton nez sur les scènes de crimes, pardi" semble me crier une petite voix dans mon cerveau. Et puis une autre rétorque : " Mais c'est tout de même grâce à ça qu'il a trouvé ".
Mais quel raffut ! Avoir la tête qui bourdonne n'est pas une chose agréable ! Ca tape ici et là. Ca résonne. Puis les yeux s'emplissent d'une vague de lumière orangée...

Sursaut ! Se réveiller de cette manière est vraiment angoissant. Les sueurs froides me coulent le long du dos alors que je prends mon portable qui se déplace tout seul sur la table de chevet sous les vibrations de la sonnerie. Plus jamais je n'essayerai un essai de Mathilde avant d'aller me coucher, plus jamais...

Je regarde l'écran LCD qui clignote, c'est Jessi qui m'a laissé un message vocale. J'appuie sur "Rappeler automatiquement le répondeur" et la voix de ma coéquipière se met à résonner dans mon oreille droite :

"Le corps d'une femme, la cinquantaine, de type caucasien, vient d'être retrouvé dans une villa de la banlieue de Paris (...)"





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Vous aimez écrire ? Vous aimeriez vous aussi vous improviser rédacteur d'un jour sur Dr Jicky & Mr Phoebus ? Vous pouvez me soumettre une proposition pendant tout l'été à Misterphoebus@hotmail.fr (du moment que c'est original et anti-conformiste.... Ou alors sincère et spontané ! ^^).

5 commentaires:

  1. Superbe Patrice !!!
    J'ai passé un très bon moment de lecture, ENCORE ! ;-)
    Bisous, bisous,
    Vivi

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  2. Merci Vivi, et merci à DrJ&MrP d'avoir publié ce modeste texte! ;)
    A bientôt!

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  3. Patrice, c'est une bonne idée que cet article, et c'est une bonne histoire attachante. Tu te débrouilles bien, et je te conseille de continuer à écrire, mais en étant encore plus pointilleux sur le style !

    Mais bravo !

    V.

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  4. Une belle nouvelle qui donne encore plus envie de sentir ce parfum, j'espère qu'on continuera à te lire, Patrice !

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  5. Merci beaucoup à vous, V. et Sabine, je suis très content que vous ayez aimé!
    Peut être qu'un jour une suite arrivera ou un autre texte tout à fait différent! ;)

    Patrice

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