C'était un soir de novembre. On parlait santal. Malgré une vision de la création différente de la mienne, Youggo a un vécu très intéressant autour de cette matière. C'est donc tout naturellement que nous l'avons invité à partager avec vous son rapport à Tam Dao. Allez, partez à la découverte du bois exotique grâce à la plume de notre invité du jour !
E. Guézou pour J&P |
Un créateur, lorsqu’il conçoit un
parfum, invite celui qui le sentira à voyager. Ce voyage peut être purement
spirituel ou métaphysique, explorer nos souvenirs, nos émotions, notre
inconscient, notre intimité. Explorer nos sens également, notre corps. Mais
souvent ce voyage est à prendre dans une dimension plus littérale, le parfum
nous projetant, par sa force d’évocation, vers un ailleurs plus ou moins
lointain et exotique. Une multitude de
paysages peuvent alors prendre forme dans notre esprit par la simple présence
d’une essence, d’un accord, qui nous plonge immédiatement dans une vision
réaliste ou stéréotypée de cette destination imaginée. Des champs de lavande
Grassois aux épices du Maghreb, des orangers d’Espagne à l’encens d’une église. La vision se fait incroyablement précise.
Souvent même, on pourrait situer cette évocation dans un contexte historique
bien particulier. Et si parfois ce voyage répond fidèlement au propos initial
du parfumeur, le nez qui se pose dessus est libre d’en imaginer une toute autre
destination.
Tam Dao appartient typiquement à
cette classe de parfums voyages. Ce santal pur est inspiré des souvenirs
d’enfance d’Yves Coueslant, un des fondateurs de la maison Diptyque, qui vécut
au Vietnam (Tam Dao étant le nom d’une localité au nord d’Hanoi). Un voyage évoqué par ces mots : « Touffeur
de jungle, enchevêtrement de lianes, odeur de forêts et de temples, des
éléphants tirent les troncs déracinés du plus parfumé des bois sacrés, le
santal ».
Mais voilà, pour moi Tam Dao ce n’est pas ça. Pourtant oui, tout y est !
Et j’arrive effectivement à me figurer cette Indochine de Duras, les rizières
en terrasses, ces européens casqués de blanc, étouffants sous la chaleur moite
de la fin des moussons, qui depuis le perron de leur grande bâtisse coloniale
observeraient en contrebas l’orée d’une jungle sombre où des éléphants charrient
des troncs encore rouges de sèves. Le tableau est parfaitement clair. Comme une
vieille photographie de carte postale qui venteraient la douceur de la vie
coloniale à des européens restés chez eux.
Malgré cet argument de départ,
mon imagination, poussée par une rémanence de ma mémoire, part encore plus
loin. L’antipode. Nouvelle Calédonie.
C’est là que j’ai passé les années charnières de mon
enfance, et s’il m’en reste trop peu de souvenirs à mon goût, l’odeur du bois
de santal demeure elle incroyablement vivace. À la fois rare et omniprésente,
cette odeur revêt une place importante dans la culture kanak. Un bois mystique,
sacré, utilisé dans l’ornement des cases, la construction de pirogues
traditionnelles, ou la fabrication de statuettes et d’objets d’artisanat. Et
cette odeur m’accompagne encore aujourd’hui, plus de 20 ans après, à travers
divers objets ramenés de là-bas, qui trônent sur les étagères de ma
bibliothèque comme autant de merveilles d’un cabinet de curiosité bien
personnel.
C’est cette odeur là, ce bois de santal brut et naturel, qui
m’a sauté aux narines en sentant par hasard Tam Dao au tout début des mes
pérégrinations olfactives. Le choc fut aussi immédiat qu’intense, me plongeant
dans ces racines presque oubliées de moi-même. Un retour en enfance.
Un parfum où le santal est roi, les autres composants ne servant qu’à mieux l’exacerber pour le rendre plus vrai que vrai, surréaliste. Un santal facetté, riche, brillant, à la fois sombre et lumineux. Son départ est sauvage, sec, râpeux, comme une brassée de sciure. Et il y a cette note un peu astringente des résines du bois, qui prennent souvent naturellement un aspect liquoreux, presque de pétrole. Ensuite c’est le côté fumé et une odeur de terre humide qui se révèlent avant de s’adoucir dans un fond plus ambré et vanillé. Et durant tout le voyage, les
notes laiteuses caractéristiques du santal, presque noix de coco, forment une trame
discrète et viennent lier l’ensemble. Ici oubliez les notes épicées et de pain
sec que l’on retrouve dans beaucoup de santals de la parfumerie (notamment chez
Serge Lutens dans Santal Blanc ou Santal de Mysore), oubliez la légèreté d’un
lait sucré qui s’approcherait de la figue (comme dans Santal Massoia d’Hermès
ou Santal Blush de Tom Ford). Tam Dao est lourd, moite, profond. C’est une
écorce gorgée d’eau, une racine ancrée en terre kanak. Des hommes aux visages
barrés de lignes blanches, peuple fier et insoumis, qui dansent et martèlent le
sol de leurs pieds. Une force naturelle, puissance d’une forêt primaire humide.
Une incarnation olfactive des esprits coutumiers, figurés par d’impressionnants
totems gravés qui viennent cerner l’entrée des cases traditionnelles ou les
surplombent en une flèche faitière.
C’est cette alliance parfaite entre la brutalité naturelle du bois de santal et une profondeur mystique qui fait l’unicité de Tam Dao. Un parfum rare, qui a su retranscrire toute la richesse olfactive et symbolique du santal. Bien que le récent L'Arbre de IUNX frise cette perfection, Tam Dao reste jusqu’à présent inégalé.
C’est cette alliance parfaite entre la brutalité naturelle du bois de santal et une profondeur mystique qui fait l’unicité de Tam Dao. Un parfum rare, qui a su retranscrire toute la richesse olfactive et symbolique du santal. Bien que le récent L'Arbre de IUNX frise cette perfection, Tam Dao reste jusqu’à présent inégalé.
Youggo
Bravo pour l'article! J'ai passé là-bas mon adolescence et mon bac... Des souvenirs merveilleux, un pays paradisiaque, de Ouvéa à L'île des pins, de la brousse un rien western de la côte ouest à l'humidité plus "tropicale" de la côte est... Et les odeurs... Inoubliable.
RépondreSupprimerQuel bel article ! Et quel beau souvenir ! La preuve, une fois de plus, que la mémoire olfactive est capable de remuer bien des choses en nous... Est-ce le seul santal que tu apprécies et que tu aimes porter ?
RépondreSupprimerRéponse tardive mais réponse quand même.
RépondreSupprimerEn fait ce n'est pas le seul santal que j'aime, mais quand on a une idée bien précise de ce que doit sentir un santal, on est forcément plus difficile. Du coup je ne porte que Tam Dao pour l'instant, que j'apprécie surtout en hiver. Mais je pense que bientôt l'Arbre de IUNX, plus léger et plus frais, le rejoindra pour prendre le relais en été.
Pour ce qui est de la mémoire olfactive, ce qui m'intéressait ici c'est de voir comment elle influe sur notre perception d'un parfum pourtant créé pour raconter une toute autre histoire. Cet article j'aurais aussi pu le faire de Fille en Aiguille, que Lutens a voulu comme un parfum de pinède en été, mais qui m'évoque une église de bois sombre sous la neige de Norvège, autre souvenir olfactif fort pour moi.
Je serai curieux d'avoir d'autres retours d'expérience similaires.
Hello,
RépondreSupprimerC'est une expérience olfactive très intéressante et aussi très prenante, je connais mal Tam Dao mais j'étais loin de m'imaginer la Nouvelle Calédonie. Vous évoquez Fille en Aiguille, moi non plus je ne l'associe pas du tout avec une pinède en été ( et pourtant géographiquement je suis bien concernée ^^ et j'ai connu l'ancienne technique pour recueillir la sève, technique qui revient mais pour d'autres arbres ), en revanche comme la Norvège m'est inconnue... Etrangement ou pas ?, c'est Do Son qui pour moi évoque Duras et l'Indochine d'avant. La mémoire olfactive est la plus fondamentale mais d'autres éléments s'entremêlent et cela donne ce que vous racontez avec Tam Dao. Tant mieux !
Merci pour votre témoignage Dominique !
SupprimerJ'aime beaucoup Do Son, mais je ne connais pas assez Duras pour saisir le lien ;)
J.
Mais je crois cependant que tam dao a été profondément modifié. Il n'est plus aussi magique que dans mon souvenir...
RépondreSupprimerBonjour Anonyme,
SupprimerIl semblerait en effet que le Tam Dao ait été reformulé il y a un an à peu près. Je ne le connais pas assez pour pouvoir être catégorique, mais Youggo nous en avait parlé justement, lui qui le connait plutôt bien !
Une perte de magie donc. J'avoue que les reformulations comme celles là fendent le coeur.
J.
Bravo (avec retard) pour ce beau sujet...Savoir communiquer un coup de cœur / souvenir olffactif est chose malaisée...même pour Proust :)
RépondreSupprimer"Essence de Santal Inde, feuilles de poivrier à peine fumées et une goutte d'essence de bous de rose" telle serait la composition du (presque) solinote de IUNX... Quoiqu'il en soit "L'Arbre" m'est devenu aussi indispensable que d'autres Eaux d'Olivia Giacobetti...Ce parfumeur n'a décidément pas arrêté de m'émouvoir...Et je m'éloigne de Dyptique avec (un peu) de nostalgie. :(
AdRem
Bonsoir AdRem !
SupprimerOui, parler du parfum est une chose difficile, mais les passionnés - dans toute leur diversité - parviennent toujours à trouver les mots dans un nuage de créativité, de pertinence et de passion. Et c'est toujours un plaisir à lire !
J'aime aussi personnellement, comme Youggo et comme vous, L'Arbre de IUNX. Ce serait cool si je pouvais en parler ! C'est d'ailleurs une nouveauté chez IUNX, qui se contentait souvent de rééditer des parfums disparus de la marque. (pour notre plus grand plaisir !)
Pour Dyptique, j'avoue que j'ai ceux que j'aime (notamment Tam Dao et Philosykos), mais même si je ne suis pas séduit par Volutes, je trouve ça quand même très réussi comme lancement, alors que j'étais plutôt très déçu par la marque ces derniers temps !
J.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerBonjour, merci beaucoup pour cet article ! Cela fait maintenant 5 ans que je me parfume au Tam Dao et je l'apprécie énormément. Il a beaucoup de caractère. Seulement voilà, Dyptique a changé ses flacons récemment, le design est d'ailleurs très joli. En revanche, ils en ont profité pour changer la composition même de cette fragrance. C'est vraiment étonnant car ils n'en n'ont aucunement informé leur clientèle. La fragrance Tam Dao est devenue beaucoup plus commune, plus sucrée et moins épicée. Ce parfum a perdu son essence même. Pour ceux qui l'ont connu dans les anciens flacons et qui ont conservé ce modèle, comparez, vous sentirez la différence. Je ne pensais pas qu'une maison renommée comme Dyptique puisse faire ce genre de choses. Je suis très déçue. Mais je compte bien informer Dyptique de mon mécontentement.
RépondreSupprimerBonjour Anonyme (do you dakatine ?),
SupprimerComme je comprends votre déception ! Les reformulations font parties des fléaux des perfumistas. L'auteur de cet article - Youggo - est lui aussi un grand déçu de cette reformulation de Tam Dao.
Vous faites bien de vouloir envoyer un message de mécontentement à Dytpique, cette politique des reformulations pour la reformulation n'est pas très digne d'une marque de luxe (mais ils vous diront probablement qu'ils ne font que suivre les normes européennes...)
En attendant, bienvenue ici :D !
J.