Journée sniffathlon d'un #TeamProvincial minute-par-minute
F**k me, I'm Phoebus
J'ai donc sauté dans un train assez tôt ce matin là, direction Gare de l'Est.
Cette parenthèse à la capitale n'était pas franchement préparée, mais j'étais au moins sûr de deux choses en poinçonnant mon billet : j'en avais à la fois l'opportunité et la volonté, deux facteurs assez difficiles à réunir pour un perfumista-des-champs. Il y a deux ans j'ai compris, après avoir reçu un échantillon de l'Artisan Parfumeur, que mon odorat allait mourir de faim en province, et j'écumais le site d'Auparfum en suivant l'itinéraire parfumé que Jeanne a esquissé à l'époque dans cet article. Il y a deux semaines, j'ai vendu deux flacons sur La Bourse Des Parfums à deux parisiens (j'y reviendrai), le montant total pouvant couvrir une large partie d'un billet de train aller-retour. Lundi dernier, j'ai fini mes examens. Opportunité !
J'étais peu préparé, mais bien. La tête appuyée contre la vitre froide et vibrante, je vérifiais mon sac à dos, qui contenait : un sweat à capuche généreusement parfumé d'Habanita EDT, une petite trousse de toilette, un stylo et un livre de poche. Sur la page de garde, j'avais griffonné quelques précieux conseils administrés la veille par deux perfumistas parisiens sur notre mur Facebook. Les pages suivantes n'ont par la suite pas été épargnées de la moindre de mes impressions, quand elles n'accueillaient pas déjà une mouillette comme un fourreau pour la conserver. Si bien qu'à la fin de la journée... Voilà à quoi ressemblait mon livre.
Bien sûr toutes les gares se ressemblent. C'est en arrivant dans le métro que j'ai vraiment réalisé que j'étais en train de fouler le sol parisien.
Je marchais le livre en main, plié en deux au niveau de la page de garde, et suivais à la lettre ce que j'y avais inscris : deux tickets de métros me suffiraient pour la journée, prendre la ligne 7 jusqu'à Opéra. Je passe sur les mines déconfites que le café n'a pas réussi à booster, et sur les relents de pipi de clochard que nous subissons tous pour faire avance-rapide jusqu'à ce que j'aime appeler mon premier 'Moment Parisien'. Dans cette rame de métro, devant moi cette quinquagénaire en tailleur et N*5, derrière moi ce vieil homme misérable qui jouait Somewhere Over The Rainbow à l'accordéon. Quelque part, j'adore l'idée que le premier parfum qu'il m'ait été donné de sentir à Paris soit le N*5. J'adore que ma journée ait commencé par cette chanson. Et j'adore que ce clochard l'ait jouée à l'accordéon – il la jouait merveilleusement bien le bougre – parce que s'il y a bien un lieu commun auquel moi et Les Aristochats tenons particulièrement, c'est qu'on ne représente pas Paris sans accordéon. Délicieusement vieillot, ridiculement actuel, il canalise vraiment tout le charme et la passion de cette ville. De même, je ne peux pas vous dépeindre ma journée sans y insérer un peu d'accordéon, en truffant de liens les débuts de paragraphe, c'est une condition essentielle pour vivre Paris par procuration. Donc rien que pour vous je me suis aventuré dans cette obscure partie de Youtube où de vieux psychopathes moustachus qui ne clignent pas des yeux jouent de leur instrument, entre une horloge à coucou suisse et une vitrine exposant une formidable collection de ragondins empaillés.
La quinqua au goût très sûr, loin d'être aussi absorbée que moi par le musicien, l'a tout de même gratifié d'un petit billet avant de partir, c'était si parisien de sa part. J'ai suivi le N*5 qui montait les marches jusqu'à la lumière du jour.
C'était vraiment délicieux de se perdre dans la foule. Le temps était radieux – je n'aurai finalement pas besoin de ma veste. J'ai laissé mes pieds choisir une direction, puis me suis enfoncé dans une petite foire avant de ressortir mon livre : "direction les jardins du palais royal". C'est là que j'ai commencé à faire connaissance avec les sourires parisiens, qui tout au long de la journée ont paru ravis de m'aider à m'orienter, dégainant le GPS de l'iPhone si nécessaire, où me rattrapant sur le trottoir parce qu'en fait, par l'autre rue c'est encore plus rapide. J'imaginais des créatures froides au temps précieux - comme une version Française des je-marche-le-cellulaire-à-l'oreille de Wall Street - et je n'aurais pas pu me tromper plus. De la même manière, j'étais dubitatif quand on m'a assuré que je trouverais les Jardins du Palais Royal en me faufilant dans le passage sous cet horrible et énorme échafaudage.
Hé bien honnêtement ? C'est le plus bel endroit qu'il m'ait été donné de visiter ce jour là. Je n'ai pas pu m'empêcher de sortir mon portable pour photographier frénétiquement les statues, la fontaine, les arbres, ces magnifiques roses blanches, et les gens. J'adore photographier les gens. Il y avait beaucoup de couples, dont deux hommes près du bassin qui se disputaient de manière théâtrale et accaparaient toute l'attention.
J'y aurais bien passé quelques heures encore, mais mon temps était compté (et la batterie de mon téléphone également). J'ai pressé une rose blanche dans mon livre avant d'entrer chez Rosine.
La rose, cette note si "difficile" auprès des néophytes. J'ai dû rappeler à la vendeuse une ou deux fois que je n'ai peur de rien – que j'adore la rose même – et les mouillettes ont pu défiler à rythme d'usine. Première remarque : effectivement, aucun (ou presque) des parfums ne se ressemblent. Deuxième remarque : certains prix peuvent paraitre élevés (notamment le dernier Lotus Rose), mais tous sont laaaaaaaaaargement supérieurs à Sa Majesté La Rose, à mon sens, qu'on trouve en export chez Lutens pour le même tarif. Donc à choisir, si on veut de la rose niche...
D'ailleurs en parlant de choix, les miens : j'ai particulièrement apprécié La Rose de Rosine, rouge, très équilibrée. Roseberry également, la "rose buisson" (pensez L'Ombre Dans l'Eau sans l'eau). Une Folie de Rose enfin, pour sa profondeur... Mais il faut vraiment que je trouve le temps d'approfondir les autres, il y avait souvent un intérêt dans l'association avec les notes hespéridées. Et puis si vous aimez le chocolat, Rose Praline est vraiment surprenante, délicate et bien faite.
Chez Lutens, un peu plus loin... C'est une autre ambiance. C'était presque violent de quitter le petit boudoir aux noeuds roses pour pousser sans transition la lourde porte de la boutique Serge Lutens. Mais passée la première impression "maison hantée/train fantôme de fête foraine" (rah, ces néons) l'endroit est vraiment très joli. J'appréhendais l'accueil également, ayant eu quelques retours sur le sens du contact des "prêtresses de Serge Lutens". Mais encore une fois, loin s'en faut, la vendeuse était adorable. Elle a pu être témoin de l'un de mes grands coups de cœur de la journée : Un Lys, si doux et solaire, joliment muguet en tête et laissant deviner une vanille sourde et épicée en background. Vraiment pas le plus original des Lutens, à côté de la folie de Tubéreuse Criminelle ou de l'extravagance de Santal De Mysore, mais certainement l'un de mes préférés. Autrement, j'ai été surpris par la prune coriace de Boxeuses, par le délicieux cocon de Cuir Mauresque (dont la vendeuse soulignait la parenté avec L'Heure Bleue, ce qui est tout à fait juste), par l'animalité ondoyante du jasmin de Sarrasins (je ne sais toujours pas si je préfère A La Nuit) et par la douceur fauve du Vétiver Oriental.
Je suis revenu un peu plus tard pour appliquer quelques gouttes d'Un Lys sur mon poignet. Parce que.
Quand je suis sorti, c'était visiblement l'heure de manger. Des dizaines de groupes scolaires, ou touristiques, mais aussi pas mal de duos costume-cravate profitaient du joli cadre pour pique-niquer. Moi je devais retourner à la sortie de la bouche de métro pour retrouver C, auteur du blog Note de Parfum à qui j'ai pu vendre mon flacon de Perles via La Bourse Des Parfums.
En l'attendant, pour la n-ième fois je me suis fait la remarque que les Parisiens ont cela de particulier qu'ils ont tous un style. Bon, c'est pas forcément toujours joli. Pour les plus irrécupérables, ça trahit juste un désir désespéré d'attirer l'attention. Mais derrière la plupart des passants on devine un goût, ou du moins une recherche dans la façon de s'habiller, ce qui rend la rue... Divertissante ! C'est beaucoup moins le cas en province. Cet homme par exemple (bon je suis quasiment sûr qu'il s'avait que je prenais des photos et qu'il a pris la pose - je veux dire, qui s'arrête en plein milieu du trottoir pour lire son journal comme ça sur l'heure de midi ?), il ne manquait plus que lui pour donner à la photo des allures de carte postale vintage.
Il était aussi agréable de remarquer que 70% des parisiens (oui, j'ai inventé ce pourcentage) ont un sillage, c'est beaucoup plus qu'en province, encore une fois. Et ce jour là j'ai pu reconnaitre : le 19, le 5 (beaucoup de 5), Terre, Passage d'Enfer, Angel, Chloé. Je ne cite que ceux qui m'ont fait plaisir bien sûr... Parce que perfumista des Villes ou perfumista des Champs, résistance face au patchoufruit c'est MEME COMBAT mes amis.
Une fois la vente conclue, j'ai ressorti mon livre : direction boulevard Haussman, pour trouver les Galeries Lafayette et le Printemps. Je me suis dit que j'allais trouver un endroit où manger en chemin (vu que j'étais pressé on m'a très fortement déconseillé le macdonald parce que, hé, c'est l'heure de midi mon coco). J'ai pu saliver devant une multitude de petits restaurants et de brasseries, ce n'est vraiment pas de cela qu'il manque. Il y a cette culture, je crois, de la cuisine de bistrot beaucoup plus marquée qu'en province. Et ça fait vraiment envie. Mais bon, je me suis contenté de prendre quelques photos (les terrasses moitié-de-trottoir je trouve ça vraiment TROP MIGNON), et me suis rabattu sur un petit quelque chose en boulangerie.
Côté parfum, en chemin, j'ai croisé plusieurs nociphorianaud bien sûr... Ce n'était pas dans mon programme mais je suis quand même rentré dans l'un d'entre eux. Pour la forme. J'ai eu raison : j'ai pu découvrir ma deuxième bonne surprise de la journée. OUI, Truth or Dare, le parfum que Madonna vient de lancer... Si je m'étais attendu à ça ! Non franchement c'est de la bonne came. Une tubéreuse blanche et crémeuse à souhait, portable, identifiable... Je ne connaissais aucune "frag-star" avant, mais je savais leur mauvaise réputation. Et clairement, Truth or Dare ne joue pas dans la même cour. Si vous en doutez encore, essayez donc Fame de Lady Gaga pour comparer le niveau ("Conseil malin ! Emportez un sac à vomi avec vous").
Sur ma route, j'ai croisé la boutique Jo Malone, un peu plus tard au moment où je commençais à regretter d'avoir mis mes bottines plutôt que des baskets – mine de rien j'ai piétiné quatre bonnes heures à force de trainer à droite à gauche. Je ne connaissais Jo Malone que de nom, je ne savais absolument pas ce qui m'attendait à l'intérieur. J'ai pu y découvrir, à l'aise (vendeuses très en retrait) presque toute la collection. Enfin, "à l'aise"... Encore une fois les mouillettes défilaient à rythme d'usine, mais j'ai plutôt apprécié l'esprit anglais très eaux légères de la marque, portée par des accords simples et efficaces (parfois, c'est aussi de cela dont on a besoin). Je ne sais pas pourquoi mais la simplicité ridicule de l'un d'eux m'a interpelé, c'est Wild Bluebell Cologne. Je suis même allé jusqu'à en demander un échantillon d'ailleurs. Loin d'être une jacinthe rustique comme j'en rêve parfois, c'est en fait plutôt une infusion de fleurs de montagnes très délicate, sur un fond musqué ultrapropre et gorgé de fruits d'eau. C'est devenu instantanément mon Parfum de la Honte ! On dirait qu'il n'y a que deux molécules dans la formule. La proximité avec l'odeur d'un gel douche pour homme (style tahiti noir, mais bon Wild Bluebell est quand même plus fin) peut laisser pantois, tandis que la capacité à faire durer la fraicheur reste appréciable. C'est une remarque qui vaut pour l'ensemble de la gamme d'ailleurs. Autrement, petit crush sur Red Roses Cologne (la mouillette sent encore à l'heure où j'écris), qui est effectivement une rose très rouge mais pas sombre, ce qui est assez rare dans mes ressentis. C'est une rose Anglaise (noooooooooooon ?!..), elle me fait penser à celle d'Elizabethan Rose, mais en beaucoup, beaucoup plus portable. Les muscs et le thé remplacent une partie du géranium, donc cela en fait une version plus douce et actuelle. Sinon, il y avait une nectarine fraiche et revigorante qui m'a plu également. Je ne me rappelle plus franchement des autres, c'était toujours simplement, joliment exécuté... Mais oubliable.
J'apprends après coup que la marque a lancé l'idée de prendre plusieurs parfums pour les mixer ensemble, ce qui explique l'extrême simplicité de certaines eaux. Je ne suis pas du tout fan de l'idée. Cela dit je conseillerais bien la marque à tous les fans hardcores d'Ellena, ou à ces si nombreuses personnes qui, lors d'un conseil-parfum, demandent "quelque chose de léger, hein !".
Je vais faire court sur mon passage à la boutique Guerlain ensuite parce que bon.
L'endroit est assez joli, mais mal placé et très bruyant. J'ai été super déçu par leurs exclusifs (Floral Romantique : wotzeufeuk). Je retiens Oriental Brûlant pour son côté "marshmallow qui crame sur un pique en bois", Tonka Impériale parce que tout est dit dans le nom, et Rose Barbare parce que c'est une jolie rose de caractère. En soit c'est bien fait mais euh... Je sais pas, je trouve leurs mainstreams mille fois plus intéressants, en fait (et je dis ça sans être un fan inconditionnel desdits mainstreams non plus, donc voyez). Et c'est pas sensé être dans ce sens là quand une marque crée une gamme exclusive. Aucun coup de cœur ici.
¨Parce qu'on m'a dit après qu'il ne faut pas
prendre de photos de la boutique.
C'est plutôt mignon, en fait.
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Je suis passé en vitesse chez Iunx, aussi. C'est en face, un peu avant sur le trottoir.
La boutique est minuscule, et je la partageais avec un immense papi Californien, dont le short et la casquette bleu électrique juraient adorablement avec le contexte. Étant 'outsiders' tous les deux on a fini par discuter un peu (je vous le donne dans le mille, nous adorons Paris). Il venait acheter des bougies et tenait à savoir quel était le parfum que je préférais dans la gamme et pourquoi. Je me suis aventuré dans un anglais fébrile en montrant l'Eau Argentine. Elle avait quelque chose de spécial, tandis que les autres, même si elles étaient magnifiques, fines, équilibrées, me rappelaient un peu trop ce qu'Olivia Giaccobetti a déjà pu faire (le fantôme de Passage d'Enfer ne flottait jamais loin). L'Eau Argentine m'a particulièrement ému, et même si ce n'était pas ça qui l'a inspiré, elle m'a évoqué une odeur insaisissable qu'on retrouve dans la garrigue...
- La garrigue. You know, dry, spicy vegetation in south of france... Nice...
- Oh yeeeeeeeeeaaaaaaaah, I know Nice, I love Nice !
* ENTRACTE *
Si vous suivez le même itinéraire que moi, n'hésitez pas à faire un mini-crochet par l'Opéra Garnier, vous asseoir sur les marches pour savourer un granité en vous dorant la pilule (sous des jolies statues d'anges partouseurs, en plus). Attention, risque de pigeons et de groupes touristiques asiatiques : orange.
*FIN DE L'ENTRACTE *
En arrivant au Printemps, j'ai pu poursuivre mon périple en excellente compagnie. Jicky et Opium m'y ont rejoint et guidé à partir de là. C'était assez drôle de côtoyer ce tandem improbable et complice, qui évoluait avec aisance entre les corners, claquait la bise aux vendeurs sympas.. On aurait aussi bien pu se trouver dans une boite branchée de la Croisette. Mais donc-donc-donc, qui sont les VIP (Very Important Perfumistas) que vous ne devez pas louper là-bas, me demandez vous ?
Si vous n'êtes pas une grande fortune Russe ou Moyen-Orientale, il est très probable que vous repartiez de chez Tom Ford bredouille – mais avec le sourire. Xavier (COUCOU XAVIER si tu nous lis), le gentil-géant du corner nous a présenté la collection avec humour et bon sens. Les "power-house" (comme dirait Opium) ont eu beau se succéder, plusieurs semaines plus tard, au moment où j'écris, c'est le plus faible de la gamme qui m'a le plus marqué : Néroli Portofino. (J'enfonce des portes ouvertes mais, pour un néroli, il faut avouer que c'est incroyablement cher tout de même. A choisir, celui de Goutal a peut-être les chevilles beaucoup moins gonflées ?).
Nous avons aussi pu sentir Velvet Gardenia, qui est discontinué (et je vais m'improviser voix du peuple pour hurler en direction des bureaux Tom Ford : POURQUOI ?!?!). Il a un petit côté Tubéreuse Criminelle, et c'est clairement un gardénia orienté côté pot de peinture de la Force (ce que certains ressentent comme du champignon je crois. Je n'ai jamais vraiment compris cette image). Ce n'est pas mon gardénia préféré cela dit, mais il est plutôt intéressant à sentir ! Pour finir, Santal Blush m'avait laissé une impression très positive, en sachant que j'ai du mal avec cette note.
La magie de ces grands magasins parisiens, c'est quand même de n'avoir que quelques pas à faire pour changer de corner, ce qui en fait un concentré de gens super intéressants. En quelques enjambées, nous sommes allés voir Josiane aka "la légende du stand Cartier" (ON FAIT TOUS UNE OLA POUR JOSIANE DERRIERE NOS ECRANS). Elle concurrence la marraine bonne fée de Cendrillon en sourire contaminant et "adorablittude". Et puis j'adore les vendeurs qui ont un avis, qui sont réellement amoureux de certaines de leurs références, c'est mille fois plus intéressant et efficace que des représentantes qui idolâtrent machinalement tous leurs produits, sans aucun plaisir, comme de vieilles péripat'.
Cartier est sans doute avec Hermès une des meilleures marques du mainstream actuel. Tous deux ont intégré un parfumeur maison, développé une image, un esprit. Ils s'accrochent à la direction qu'ils ont choisi, en apportant qualité et cohérence, ce qui est vraiment très appréciable au regard de la concurrence. On peut leur reprocher d'avoir cédé à ce qui semble devenir aujourd'hui une figure imposée pour donner du crédit à une marque, c'est à dire créer sa propre gamme exclusive attrocement chère (respectivement : les Hermessences et Les Heures de Cartier). Mais là où d'autres gammes exclusives sont de bon gros 'epic fail' pour la plupart des références (*toussetousse*Armani*toussetousse) ou ont augmenté les prix sans explications, en faisant passer des parfums discontinués en gamme exclusive (*ETERNUE*Guerlain*ETERNUE*), on pourrait presque excuser le tarif de ces Heures de Cartier. Mathilde Laurent nous offre certains des parfums les plus créatifs du marché (certains courronnés de prix ou de nominations), et déblaye de nouvelles voies créatives intéressantes. Certes, toutes les Heures ne sont pas exceptionnelles, et ne justifient pas leur prix – je n'en achèterai peut-être jamais d'ailleurs, mais d'une certaine manière juste savoir qu'elles existent me fait très plaisir. Je ne peux que vous recommander de sentir l'Heure Fougueuse, le fameux accord maté-crinière de cheval, tout simplement magique. La Treizième Heure vous surprendra également, et elle inaugure un travail sur la fumée, ce thème qui semble inspirer actuellement une poignée d'autres marques.
Les autres références jouent sur des codes plus convenus mais ont souvent quelque chose qui marque la différence. Tenez, L'Heure Folle par exemple, est un fruité créé par une parfumeuse qui déteste ces notes : plutôt que de jouer sur le côté sucré des fruits rouges (comme... tout le temps ?), Mathilde Laurent a préféré n'en garder que l'acidité. Même les petits grains de la groseille qui ne se croquent pas sous la dent. Et puis, le buisson qu'il y a tout autour du fruit, aussi, tant qu'à faire. Avec l'Heure Promise, elle dépeint tout en douceur un iris vert et angélique. Avec L'Heure Défendue (la préférée de Josiane !) c'est un patchouli sous toutes ses coutures, liquoreux et cacao, qu'elle construit. Avec L'Heure Brillante, elle explore toutes les facettes du citron, citron vert, petit grain, zeste, jus, amertume... Dans un travail que j'ai beaucoup apprécié.
Niveau mainstream, on ne présente plus Déclaration, qui demeure un des piliers de la parfumerie masculine. Mais Jicky vous a présenté la semaine dernière Déclaration d'un Soir, la rose poivrée très différente du Déclaration initial, qui innove en incorporant une rose dans le rayon masculin mainstream. Il était temps ! Et cela démontre bien une fois de plus que nous sommes actuellement dans une grosse phase "rose", peut-être initiée en amont dans la niche avec la dernière sortie de Portrait of a Lady, puis de l'édition limitée des "trois roses de Goutal". Le succès mainstream des roses lessivielles de Chloé y a très sûrement contribué en parallèle, et aujourd'hui les flankers orientés rose fleurissent un petit peu partout (ça a parfois du bon : Parisienne l'Eau est du coup beaucoup moins collant et plus subtil que son ainé, Chloé L'Eau beaucoup moins lessive..). Quand une tendance remonte jusqu'au rayon homme, c'est la preuve qu'elle s'installe. Bientôt une flopée de floraux hybrides dans les rayons masculins ?
Petite visite de courtoisie auprès des stands Artisans Parfumeur, Goutal et Lutens, que j'aime et connais déjà bien assez. Je suis venu à Paris pour découvrir, alors découvrons !
Au Printemps, Méchant loup nous a rejoint. Un petit tour très rapide chez Piguet, où le petit groupe que nous formions m'a fait sentir à l'aveugle Visa, dans le but de m'entendre dire spontanément "Angel !" (visiblement ça ne loupe jamais). Le reste de la gamme vaut le détour, avec une tubéreuse-coco-bubblegum powerhouse de légende, Fracas ; un cuir hardcore sympatoche, Bandit ; Un hespéridé aldéhydé, dans l'esprit savonette de luxe, très intéressant, Baghari...
La jolie Sophie de My Blue Hour tenait un stand juste à côté. Nous avons passé la demi-heure suivante à sentir quelques créations d'Etat Libre d'Orange. Une marque irrégulière et déstabilisante...
J'étais le seul à découvrir, chacun avait déjà ses petits préférés et les présentait. Derrière des noms surprenants, parfois peu ragoutants, on découvre des accords efficaces, parfois moins bons, parfois excellents, parfois.... dégueulasses.
Oui. Je parle sans surprise de Sécrétions Magnifiques... Et de ce moment magique où les gens s'écartent lors de la pulvérisation, puis scrutent mon visage attentivement... pour enfin éclater de rire devant ma face contractée d'huitre qui vient de se prendre une giclée de citron.
Je n'ai pas pu re-tester ce parfum tellement il me déclenchait presque un réflexe nauséeux. Et s'il fallait tenter de le décrire, la meilleure comparaison serait ce matelas sur lequel dormait un SDF, devant lequel je suis passé la semaine dernière, et qui inondait la chaussée d'une odeur de pisse métallique, d'alcool et de transpiration.
Ceci dit, tout le monde n'a pas ma réaction avec ce parfum. Jicky par exemple, a fini par l'apprécier. Il s'en est d'ailleurs joyeusement aspergé l'avant bras pour pouvoir le sentir de tout son saoul le restant de la journée. (Il s'est bien amusé à me proposer CET avant-bras plutôt que l'autre qu'il venait d'asperger d'un autre parfum qu'il voulait me faire sentir...). De même, P de Musque-Moi ! a sournoisement glissé une mouillette de Sécrétions Magnifiques sans indications dans un colis qu'il m'avait fait parvenir quelques jours plus tard. Et comment dire : j'ai failli mourir sur mon lit ? J'ai jeté la mouillette à l'autre bout de la pièce et je n'y ai plus touché pendant une semaine, évitant soigneusement de passer devant... Puis timidement, je me suis approché, ai reniflé du bout des narines et je dois avouer que, OUI : le fond du fond du foooooooooooooooooooooooooond de l'archi fond de l'ultra fond de ce parfum EST intéressant. Il y a une animalité appréciable, originale, mais ne me demandez plus de le sentir, je ne supporterais jamais d'attendre une journée que la crasse se décolle pour profiter de cela. Les 24 premières heures de ce parfum me décrochent la nausée à tous les coups (l'autre parfum réussissant cet exploit étant M/Mink).
J'ai tout de même trouvé mon bonheur chez Etat Libre d'Orange, et mon plus gros coup de coeur de la journée avec ce qui semble décrocher la palme du nom le plus GNANGNAN-STYLE de la galaxie : Bijou Romantique. Pour le premier degré du moins. En suivant le raisonnement de la marque, c'est à la littérature que ce parfum fait référence, puisque son nom est tiré d’une réplique d'Hugo Pratt - "Adieu, Bijou Romantique" dans La Ballade de la Mer Salée. De plus, la marque le présente avec une citation d' Alfred de Musset dans On ne badine pas avec l'amour : "j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j'ai aimé".
Je l'ai testé directement sur poignet, remarquant au passage qu'Un Lys s'était déjà envolé sur l'autre. Pour le coup, c'était un love at first snif comme dans les plus belles scènes de "première vue" de la littérature française, j'ai très rarement senti un parfum dont l'impression était si tactile, riche, foisonante et parfaitement orchestrée. Une folie douce comme je les aime. Méchant Loup le décrit très bien ici sur son blog, c'est un genre de rencontre au sommet entre Shalimar et Musc Ravageur... Et à l'heure où j'écris j'ai juste très, très envie de me le procurer.
En fin d'après midi, il ne restait plus que Jicky et moi pour terminer ce sniffathlon parisien, une heure avant le départ de mon train de retour. En longeant les allées, on a fini par arriver devant ce qui semblait être un joli coin salon, très décoré comparé aux autres corners mais... A l'intérieur c'était vide, il n'y avait personne. Cela s'est révélé être le stand Killian, sans métaphore aucune (encore que).
Bon alors effectivement, les Asian Tales, c'est vrai que c'est ultra bof bof, pas grand chose à dire une fois la mouillette sous le nez. Jicky les a pas mal descendus dans un article, et si j'avais au fond de moi un micro doute sur une hypothétique exagération de sa part quand à la platitude abyssale de "Bamboo Harmony" et autres " ching chang cliché samouraï", hé bien il s'est envolé. J'ai connu des gels douche plus complexes !
Est-ce que le reste de la marque est nulle, techniquement parlant ? Clairement non. On peut reprocher tout ce qui gravite autour en revanche, le manque de créativité, le positionnement luxe et les prix qui suivent, la prétention qui s'en dégage avant même d'avoir fait ses preuves. Mais les jus ne sont pas répugnants loin de là. J'aime vraiment beaucoup Sweet Redemption, une fleur d'oranger-vanille, verte en tête avec un effet "scintillant" que j'adore. Back to Black est plaisant aussi, un miel liquide et sombre, une spirale sirupeuse qui pour le coup est réussie. En ce qui concerne le reste, au moment où j'écris, j'avoue qu'ils ne m'ont pas laissé un souvenir impérissable, mais n'étaient pas horribles pour autant.
Non, le vrai problème c'est les clichés qu'ils nous servent, le gros manque de créativité par moment (pour ne pas dire... le plagiat). Jicky en a d'ailleurs fait une illustration assez drôle !
Un homme s'est arrêté au stand pour sentir quelques Killian et nous avons commencé à discuter. En sentant les ouds, il a fini par dire qu'il appréciait et qu'il trouvait cela original. Jicky a aussitôt fait volte-face sans rien dire, s'est dirigé vers le corner Frédéric Malle juste à côté, et est revenu avec une mouillette qu'il a planté sous le nez de l'homme pour qu'il compare. C'était Portrait of a Lady, et la ressemblance saute franchement aux yeux. "Des questions ?".
L'homme a reconnu que c'était troublant. Il a senti quelques Frédéric Malle ensuite. Nous avons continué à discuter. Et là, oui, OUI mes chers frères, nous avons assisté à ce moment magique de la naissance d'un perfumista – mais je ne vous apprends rien, puisque votre tatouage en forme de licorne dorée sur l'avant bras s'est instantanément mis à chauffer et à briller légèrement cet après-midi là.
Tous les éléments étaient réunis : l'homme est ouvert à la discussion, nous a listé les parfums qu'il a porté (sans même en être conscient, uniquement du "mainstream de qualité" au rayon homme : vieux Chanel, vieux Caron, Hermès). Il a semblé très intéressé lorsque nous lui avons appris qu'il existait toute une littérature du parfum sur internet, et lui avons recommandé quelques lectures passionantes (auparfum, poivre bleu, grain de musc, olfactorum ect... Bref la base !). Nous nous sommes enfin présentés nous même, Dr Jicky & Mister Phoebus. Sans le savoir, il venait d'ailleurs d'assister à notre toute première (et unique à ce jour) rencontre !
Épuisé dans le train du retour, j'ai finalement mis mon sweat à capuche et ai pu profiter des notes de fond d'Habanita. J'ai fais l'inventaire de mes souvenirs en grifonnant quelques notes là où il restait de la place, dans mon livre de poche transpercé de mouillettes.
J'encourage tous les amoureux du parfum qui habitent en province à économiser pour s'offrir un billet de train aller-retour à la capitale (le prendre trois mois à l'avance revient moins cher). Même sans rien rapporter, cela vaut le coup de découvrir ! Je vous invite aussi à rejoindre notre page Facebook - si ce n'est pas encore fait – n'hésitez pas à demander sur notre mur quand se déroule le prochain sniffathlon parisien si vous souhaitez vous y greffer !
Pour ma part, j'ai passé une excellente journée.
Hello,
RépondreSupprimerEt bien quel périple Phoebus ! Un snifathlon digne de ce nom à ce que je viens de lire avec beaucoup d'intérêt ! J'aurais bien aimé être des vôtres, arffff une prochaine fois.
Paris me manque beaucoup et la description que vous en faites me rappelle bien des souvenirs. Quand on débarque de province, c'est le rush mais quand on y vit une certaine tranquillité s'installe. Je note - et je cite - " mon odorat allait mourir de faim en province " et oui, mais sur Paris tout d'éclaire à nouveau !
Très jolie description des parfumeries, des parfums " coup de coeur " ou des acolytes que l'on retrouve sur ces merveilleux blogs. Vraiment passionnant, donc merci à vous !!!
Je suis émue que Dr Jicky et Mr Phoebus se soient enfin rencontrés !
RépondreSupprimerBravo pour cette description du Paris-Parfums avec des yeux étrangers, à force d'y vivre, on oublie ce que c'est, et c'est toujours amusant, même rafraîchissant de le voir avec un autre regard. Tant mieux si le bonheur d'un jour tient parfois à un billet Prem's....
bonne soirée
jeanne
Oh Jeanne :D !
SupprimerEt oui nous nous sommes enfin rencontrés ! Et c'est un peu beaucoup énormément grâce à auparfum :D !
Je suis carrément d'accord : c'est touchant de voir un regard extérieur sur Paris. C'est toujours incroyable !
J.
Hey Phoebus ! C'était cool cette balade dans ton billet ! Faudra revenir ! :-)
RépondreSupprimerUne excellente journée qui nous fait un excellent moment de lecture!
RépondreSupprimerC'était saisissant Phoebus, et c'était très drôle :-)
RépondreSupprimerC'est bien que vous vous soyez rencontrés vous deux, que vous ayez pu voir Josiane de Cartier, et vos mots sont touchants. Je passe de temps en temps à Paris et je n'ai maintenant qu'une envie : y retourner ! (en plus je dois m'acheter une belle paire de chaussure)
Diane
Quelle belle balade parfumée! Le récit de votre parcours dans la capitale française est vraiment très évocateur. On vous suit, on sent presque les fragrances avec vous et, au final, on vous envie aussi. Si pour un provincial la distance vers Paris n'est pas anodine, imaginez un océan comme frontière.
RépondreSupprimerVous l'avez probablement déjà humée, mais l'Heure mystérieuse, ambrée et tout en rondeur, est très belle aussi même si mon coup de coeur chez Cartier reste la Treizième Heure (vivement que l'argent tombe du ciel!)